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condamnation de la politique de précaution suivie dans la journée du 1er mai. C’était le désaveu de tous les actes de vigilance ou de répression, de l’armée elle-même comme de tous les autres représentans de la force publique. C’était, en même temps qu’un désaveu, un décourageant avertissement donné aux serviteurs de l’état, bien et dûment prévenus que désormais ils devaient éviter de se compromettre. S’il y a eu des victimes, c’est un malheur, sans doute ; mais il y a eu aussi des victimes parmi les serviteurs de l’état : il y a eu des officiers, des soldats, des gendarmes frappés en faisant leur devoir, — M. le ministre de l’intérieur s’est honoré en relevant leurs services, dont une amnistie proclamée dès le lendemain avec ostentation aurait paru être le désaveu. Et qu’on n’ajoute pas qu’en fin de compte c’était une manière de pacifier les esprits, d’effacer un cruel malentendu en témoignant l’intérêt des pouvoirs publics pour les ouvriers et leurs revendications : il n’y a pas de malentendu ! Les soldats qui ont eu à remplir le pénible devoir de se servir de leurs armes ont tiré sur des agresseurs, sur la sédition ; ils n’ont pas tiré sur des ouvriers, ils n’ont pas eu à réprimer les revendications ouvrières qui restent entières après comme avant et ne sont pas moins l’objet de la sollicitude publique.

Le malheur est justement dans cette confusion qu’on ne cesse de faire entre tout ce qui est agitations, manifestations révolutionnaires, et ce qu’on appelle les revendications ouvrières. Il y a, on l’a dit, quelque chose de plus redoutable que les faits, même les faits violens : ce sont les idées fausses qui les préparent et les précipitent. Un des plus sérieux dangers aujourd’hui est le vague, l’obscurité, l’incohérence des idées sur des questions qui touchent aux intérêts les plus positifs, les plus pratiques.

Que les affaires du travail aient pris une importance croissante dans l’immense développement de l’industrie et du commerce des nations ; que les ouvriers représentant le nombre, sentant leur force, se concertent, se coalisent pour conquérir plus de bien-être et plus de garanties dans leur vie laborieuse, pour relever leur condition morale et matérielle, c’est un fait éclatant désormais, c’est la loi du temps. Le mouvement ne date pas d’hier, ni du 1er mai. Sans doute, il existait ; mais il est bien clair que depuis quelques années, sous l’influence d’idées chimériques et d’excitations incessantes, il a pris une extension, une intensité et une puissance qu’il n’avait pas. Il est devenu non plus seulement un mouvement partiel et local, mais un mouvement cosmopolite et international ; il n’est plus resté une simple affaire d’industrie entre patrons et ouvriers, il a affecté le caractère d’un effort d’émancipation populaire. La question pratique a disparu par degrés ou tend à disparaître dans les revendications sociales ou socialistes. Tout s’est compliqué, et si les ouvriers ont suivi le courant, il faut l’avouer, ils ne sont pas les seuls : ils ont été encouragés par les