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responsabilités ! C’est précisément ce que les radicaux ont essayé depuis quelques jours par leurs discours et leurs propositions au Palais-Bourbon. Ils n’ont pas pu ou ils n’ont pas voulu laisser échapper l’occasion de reproduire à leur façon cette histoire du 1er mai, de remettre en cause la politique qui s’est efforcée de limiter le danger de ces vastes manifestations, de se refaire une popularité équivoque avec ce triste incident de Fourmies. On a commencé par demander une enquête parlementaire : c’est l’éternelle tactique ! On a fini par demander une amnistie pour tout ce qui s’est passé dans cette journée du 1er mai. Heureusement le ministère a eu assez de fermeté pour résister à ces entraînemens, pour ne se laisser ni séduire par les ardentes objurgations de M. Camille Pelletan et de M. Clémenceau, ni intimider par des menaces de rupture. M. le ministre de l’intérieur a soutenu et couvert de sa responsabilité tous ses agens, tous ceux qui ont représenté la force publique dans ces momens difficiles. M. le garde des sceaux Fallières a défendu sans subterfuge l’autorité de la loi et les plus évidens principes de gouvernement. M. le président du conseil a mis toute sa dextérité à ménager ses adversaires sans rien livrer d’essentiel ; — et, tout compte fait, le ministère a trouvé une majorité de plus de cent voix, non plus cette fois avec les radicaux, mais avec tous les membres de la chambre, républicains et conservateurs, qui ont senti le danger de se prêter à des propositions périlleuses ou décevantes.

C’est qu’en effet on ne voit pas bien à quoi les radicaux voulaient en venir, si ce n’est peut-être à sauvegarder leur popularité par une démonstration, au risque de sacrifier les plus simples garanties de l’ordre public et de l’état.

A quoi pouvait servir une enquête, même restreinte au douloureux incident de Fourmies ? Elle n’était rien, ou elle était la mise en suspicion du gouvernement, qu’il eût été bien plus simple alors de frapper d’un seul coup par un vote de défiance. Elle ne pouvait que raviver, perpétuer sans profit pour la paix publique, les émotions d’une petite ville, et elle risquait d’être incomplète, insuffisante si elle ne s’étendait pas à l’armée que M. le président du conseil, ministre de la guerre, s’est justement fait honneur de couvrir de sa responsabilité. A quoi pouvait servir une amnistie improvisée sous la pression des événemens ? A qui devait-elle être appliquée ? On ne le voit pas bien. Prétendait-on amnistier, à côté de simples délits sans conséquence qu’une grâce peut effacer, ceux qui ont cherché à allumer des incendies, ou qui ont été des instigateurs de sédition, ou qui ont fait feu sur les gendarmes ? Autant valait proclamer, comme l’a dit M. le garde des sceaux, qu’il y avait des jours où la loi était suspendue, ou mieux encore biffer la loi du code pénal et livrer l’ordre public à toutes les fantaisies. Au fond, qu’on le voulût ou qu’on ne le voulût pas, cette prétendue amnistie n’était rien de plus, rien de moins, que la