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nuptial, et trouvant, dit-il, quelque ressemblance entre les voluptés de l’amour et celles du manger, voici comment il explique en le disant des unes ce qu’il n’ose dire des autres : « L’excès de manger ne consiste pas seulement en la trop grande quantité, mais aussi en la façon et manière de manger. » N’est-ce pas précisément la double morale que nous nous permettions de faire à la gourmande Germaine ?

Si tout à l’heure nous avons tiré hors de pair la belle scène du second acte, c’est précisément qu’avec elle nous quittons le terrain léger de la grivoiserie, pour celui de la passion, autrement solide et fertile. Ici se révèle une autre Germaine. L’amour que cette fois elle défend du mépris et de l’outrage n’est plus l’amour sensuel dont elle nous était apparue exclusivement possédée ; ce n’est plus, ou ce n’est plus seulement pour ses lèvres qu’elle supplie, mais aussi pour son pauvre cœur blessé, que nous sentons enfin battre sous la blessure. Trop tard, hélas ! Affolés l’un et l’autre, Étienne et Germaine en viennent aux paroles irréparables. Sans égards pour cette révélation ou cette révolution de l’âme de sa femme, c’est le mari maintenant qui passe à côté de l’amour ; que dis-je, il marche dessus et l’écrase.

Nous avons conté la fin de l’aventure, aussi peu morale que fut peu convenable le commencement. L’adultère à peine consommé, la pauvrette, qui n’était pas vicieuse, un peu libertine seulement, a des remords qui nous touchent. Quelque chose en elle s’est brisé ; quelque chose est mort, qui venait à peine de naître, fleur de véritable amour conjugal en un moment éclose et fanée. Germaine parle à peine. Elle jette à son amant d’une heure des regards, des mots tristes et las. Lui, de son côté, semble honteux et gêné. Dans cette maison, dont hier encore il était l’hôte loyal et familier, il n’ose plus lever le front, ou demander un verre d’eau, et quand il s’en étonne et s’en afflige : « Que voulez-vous, mon ami, répond Germaine avec une ombre de sourire, le mieux est l’ennemi du bien. » Le mot, comme beaucoup d’autres, est d’une spirituelle amertume. Et cela nous rassure d’abord, que cette petite femme ait le repentir de sa faute. Mais peu à peu cela nous inquiète et nous scandalise, que cette faute, fût-ce le regret de cette faute, soit pour Germaine le principe ou le signal d’un amendement et d’un retour. Désordonnée avant sa chute, coutumière de toutes les coquetteries, presque de toutes les coquineries amoureuses, dédaigneuse des vertus domestiques ou des joies intellectuelles, la voici qui se range et qui range, ménage ses chapeaux, respecte l’encrier de son mari, le remplit au besoin, et traduit des revues anglaises.

Ainsi la solution, la guérison était là. Maintenant les sens de Germaine vont s’endormir, son cœur et son esprit s’éveiller. Un seul baiser illégitime a purifié ses lèvres, désormais plus discrètes.