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s’assied à ses côtés ou sur ses genoux, l’interroge s’il sort et le questionne aussitôt rentré. Sur le bureau, parmi les livres et les papiers en désordre, elle oublie ses colifichets de femme ; du cabinet de travail elle fait la salle à manger ; elle en ferait au besoin une succursale de la chambre à coucher. Étienne devait s’absenter pour huit jours, aller assister en Italie à un congrès scientifique ; l’enjôleuse le retient à la chaîne ; chaîne de fleurs, mais une chaîne. Elle ne saurait accorder à l’amour une semaine de répit ou de repos, que dis-je ? une soirée, et le mari dilettante n’a pas plus le droit d’aller entendre Lohengrin, que le savant d’aller exposer à Florence son nouveau traitement de la diphtérie. À bout de forces, de toutes ses forces, Étienne, agacé depuis longtemps, éclate un jour. Un repas épicé, dont Germaine espérait d’autres suites, amène une fatale dispute. Exaspéré par son impitoyable amoureuse, Étienne s’emporte en reproches d’abord, puis en outrages. Avec une cruauté insultante, il se défend non-seulement d’aimer encore sa femme, mais de l’avoir jamais aimée. Depuis trop longtemps il plie sous un joug physique et intellectuel qu’il finit par secouer et rompre. Il maudit à jamais la tyrannie des caresses et la volupté sans relâche, meurtrière de l’esprit et du corps. La colère l’emporte, l’égaré, et voyant entrer un ami qui jadis demanda Germaine en mariage et depuis lors est demeuré le familier du ménage : « Tiens, s’écrie-t-il, tu arrives à propos, mon cher. Puisque tu adores ma femme, console-la. Moi, j’en ai assez, je te la donne. » Et du coup elle aussi se donne par furie de vengeance, et l’autre la prend de la meilleure grâce.

Voilà les deux premiers actes. Au troisième, l’étrange ménage a des remords. Mari et femme se repentent inégalement, mais tous les deux, de leurs fautes inégales. Huit jours de moindre intimité ont fait sentir à Étienne l’ennui de la solitude et la nostalgie des baisers. De son côté, Germaine a réfléchi ; son cas d’ailleurs y prêtait. L’adultère a véritablement profité à cette petite femme. Dans un bel accès de franchise, elle avoue sa faute à son mari et lui nomme son complice. Elle lui dit, comme Jacqueline à Clavaroche : « J’ai fait ce que vous m’avez dit. » Mais elle le dit avec beaucoup de mélancolie, de remords et de honte. Et l’incident, au lieu de tout perdre, arrange tout. Le mari, sans doute après quelques façons, avec quelques efforts aussi, pardonne à l’amant et reprend sa femme. Il l’aimera même mieux après qu’avant ; non pas, sans doute, parce que, mais quoique, et c’est déjà beaucoup. « Tu seras malheureux, » balbutie-t-elle tremblante, et la toile tombe sur cette réponse : « Qu’est-ce que cela fait ? » dont on ne sait trop s’il faut sourire avec compassion ou avec mépris.

Les dilettantes et les raffinés ont goûté comme ils le devaient la pièce de M. de Porto-Riche. Ils en ont loué la modernité, l’ironie et l’amertume, l’observation aiguë, l’esprit et la perversité. De tous ces