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ses symboles sans aucune référence aux choses symbolisées. Mais qu’il sache bien que son explication physique ne supprime pas, qu’elle appelle au contraire l’explication philosophique.

Celle-ci, à son tour, est nécessairement psychologique ; car les seules données qu’elle puisse employer à ses constructions sont des élémens d’expérience réductibles, en dernière analyse, à des faits de conscience, à des extraits de nos sensations et appétitions. Un être réduit à l’ouïe, comme nous le supposions tout à l’heure, mais à une ouïe d’une puissance et d’une finesse extrêmes, pourrait entendre la musique des sphères ; il dirait alors, non plus que tout est mouvement visible ou tangible, mais que tout est sensation de son. La science fondamentale de la nature, au lieu d’être la mécanique, comme elle l’est pour les savans de nos jours, serait pour lui la musique : il ne comprendrait d’autres lois que celle des accords. En réalité, la mécanique elle-même n’est pas vraiment fondamentale : le mouvement suppose les mobiles et moteurs, et il reste toujours à savoir ce que sont ces moteurs et mobiles : les appeler atomes infinitésimaux, ce n’est pas plus nous dire ce qu’ils sont que de les appeler des x infinitésimaux. Quand nous voulons nous représenter ces x en données connues, nous sommes toujours obligés d’emprunter ces données au sentiment que nous avons de notre propre existence, de nos états de passivité et de nos réactions sur le dehors. Partout où il y a du mouvement, partout nous soupçonnons quelque vague appétit et quelque sensation rudimentaire. Dans le grand tout, rien de mort ; tout vit, tout sent ou, pour ainsi dire, pressent à des degrés divers, tout fait effort et aspire. Il existe une inquiétude universelle qui n’est pas un simple changement de place dans l’étendue, mais une modification interne, analogue aux élémens les plus primitifs des états de conscience. Nous ne sommes pas seulement plongés dans un milieu matériel, mais nous baignons en même temps, pour ainsi dire, dans une atmosphère de vie mentale ; non-seulement, dans l’univers, tout est en relation mécanique, mais il semble probable que tout est en relation sympathique et « télépathique » : σύμπνοια πάντα (sumpnoia panta).


Alfred Fouillée.