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la conscience de tous les assistans, qui le remarqueraient s’il était seul, et qui ne le remarquent pas perdu dans l’ensemble. C’est que ce chuchotement ne touche aucun point pour ainsi dire explosible de leur cerveau. Au contraire, dans le cerveau de l’hypnotisé, il y a un point toujours prêt à vibrer et à répondre : c’est l’idée permanente de l’hypnotiseur, avec l’impression particulière qu’elle produit. Tout ce qui est en relation avec cette impression et cette idée provoque la réaction sympathique de l’hypnotisé ; tout ce qui n’est pas en rapport avec cette idée est comme s’il n’existait pas. C’est un monopole, un accaparement de la conscience, une inhibition de tout le reste par l’idée-force du pouvoir appartenant à l’hypnotiseur. M. Pierre Janet suggère à Mme B… l’hallucination d’un bouquet qu’elle respire, d’oiseaux qu’elle caresse. Chose curieuse, cette hallucination ne se produit que si M. Janet lui touche la main. Si une autre personne que lui la touche, rien ne se produit ; mais si M. Janet touche lui-même cette seconde personne, même à l’insu de la somnambule, l’hallucination réapparaît aussitôt, comme si une action quelconque exercée par lui avait passé au travers du corps de la personne qu’il touche. Si on fait une sorte de chaîne avec plusieurs personnes intermédiaires, le phénomène n’est plus aussi constant. Une expérience favorite de M. Gurney était de cacher la main du sujet derrière un rideau épais, puis de toucher un de ses doigts, qui devenait aussitôt insensible ou rigide. Si un assistant touchait en même temps un autre doigt, jamais il ne le rendait insensible ou rigide. Tel est le phénomène de « l’électivité. » Même pendant la veille, chez certains sujets, quand leur attention était absorbée par une conversation animée avec des tiers, M. Gurney, en touchant un doigt, le rendait insensible ; les autres personnes, non. En admettant donc qu’il y eût suggestion, encore faudrait-il que le sujet, pour deviner l’intention de l’opérateur, eût une délicatesse de sens inouïe. Il semble plutôt qu’il y a là une perception subconsciente et indéfinissable.

La sympathie de l’hypnotiseur et de l’hypnotisé peut s’exercer à distance et devenir ainsi « télépathie. » Rappelons que M. Pierre Janet et M. Gibert ont endormi leur sujet quinze fois, par la concentration de la pensée et de la volonté, à une distance d’au moins cinq cents mètres, et qui a atteint plusieurs kilomètres. M. Héricourt a endormi de même son sujet à plusieurs reprises[1]. Le

  1. Pendant qu’il concentrait sa volonté, Mme D…, qui n’était pas prévenue, fut saisie soudain d’une irrésistible inclination au sommeil, quoiqu’elle ne dormit jamais le jour ; elle n’eut que le temps de passer dans une autre chambre et tomba sur un sofa comme morte. Quand, après l’avoir prévenue qu’il l’endormirait dans la journée, M. Héricourt voulait qu’elle ne s’endormit pas, elle restait éveillée, malgré l’attente du sommeil, et croyait l’expérience manquée.