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n’est encore que la moitié de la vérité. Une idée n’est pas seulement « un ensemble de sensations renaissantes, » elle est aussi un ensemble d’appétitions renaissantes, et c’est ce fait même qui est le point de départ de la théorie des idées-forces. Il n’y a pas d’action du dehors sur nous qui ne provoque une réaction interne sous forme d’impulsion ou d’aversion : rien ne nous laisse indifférent et passif, du moins à l’origine, et la sensation même, avec son caractère agréable ou pénible, présuppose l’appétit vital, dont elle provoque infailliblement la réponse en un sens ou en l’autre, l’assentiment ou le refus. C’est pour cela, selon nous, qu’il y a une force dans les idées, un vouloir qu’elles recouvrent et dirigent, et qui, extérieurement, se manifeste par les mouvemens de réaction cérébrale. L’idée du sommeil, par exemple, quand elle nous vient naturellement le soir, est bien un ensemble de sensations de fatigue, mais c’est aussi un ensemble d’appétitions de repos. S’il n’y avait pas, dans chacune des cellules cérébrales, cette sourde sensation de lassitude avec ce sourd besoin de réparation, ce malaise avec cette tendance au bien-être, il ne se produirait aucun arrêt de mouvement dans l’activité cérébrale. Au point de vue mécanique, tout mouvement ou arrêt de mouvement s’explique par des mouvemens antérieurs ; mais, au point de vue philosophique, tout mouvement ou arrêt de mouvement s’explique par les sensations et impulsions internes dont il est la traduction visible pour un spectateur du dehors.


La paralysie introduite par l’hypnotiseur dans le cerveau développe bientôt toutes ses conséquences, à la fois mentales et physiques. Dès que la somnolence se fait sentir, si l’hypnotiseur dit : — Vous ne pouvez plus ouvrir les yeux, et si, dans le cerveau déjà affaibli et en train de se vider, cette affirmation entraîne l’idée d’une complète impuissance, le sujet a beau faire effort pour ouvrir les yeux, il n’y parvient plus. L’idée fixe des yeux invinciblement clos a pour corrélatif un certain état nerveux descendu du cerveau vers les yeux mêmes qui s’y sont accommodés : cette idée, par les vibrations qui en sont inséparables, a immobilisé, dans le clavier cérébral, la touche qu’il faudrait presser pour ouvrir les yeux. De même, la parole : « Réveillez-vous ! » est une excitation extérieure qui tombe sur un point explosif du cerveau et y provoque, avec l’idée du réveil, les premières sensations et premiers mouvemens du réveil. Le vertige se dissipe et la personne se retrouve. Il y a un tel changement à vue, que tous les rêves du somnambulisme s’abîment à la fois dans les sous-sols du théâtre cérébral, prêts à reparaître sur la scène par une nouvelle évocation. Ici encore,