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répond bientôt une sorte de distension cérébrale qui est le sommeil commençant, et qui, par contagion, envahit à la fin l’organisme.

Il y a une façon d’hypnotiser qui est manifestement produite par l’influence de l’idée, et c’est la plus fréquente lorsque le sujet a été déjà plusieurs fois endormi par le procédé des passes ou de la fixation : il suffit alors du commandement : Dormez ! pour produire le sommeil. Même les sujets neufs peuvent être endormis par la simple suggestion de l’idée du sommeil : c’est le procédé familier à l’école de Nancy. A plus forte raison, les sujets chez lesquels la suggestibilité hypnotique est très développée s’endorment-ils pour peu qu’on leur donne l’idée de dormir. Qui ne sait qu’on peut les hypnotiser par correspondance, en leur affirmant, par exemple, qu’aussitôt la lettre lue ils dormiront ; qu’on peut même les hypnotiser par téléphone, comme l’a fait M. Liégeois. Quelques personnes s’hypnotisent sous le chloroforme avant d’être chloroformées. Les gens du peuple, les cerveaux dociles, les anciens militaires, les artisans, les sujets habitués à l’obéissance passive sont, selon MM. Liébeault et Bernheim, plus aptes à recevoir la suggestion de l’idée que les cerveaux raffinés, qui opposent une certaine résistance morale, souvent inconsciente. C’est qu’il faut que l’idée du sommeil ne soit pas annulée par une idée contraire. L’idée artificiellement isolée finit alors par provoquer une sorte de suspension des autres idées, laquelle se manifeste par la paralysie partielle du cerveau.

Sans doute l’idée du sommeil, comme telle, n’agit pas physiquement sur les organes, et, du point de vue particulier des sciences de la nature, on ne saurait admettre, avec M. Bernheim, qu’une idée « actionne le cerveau ; » ce sont les mouvemens corrélatifs de l’idée qui agissent physiquement sur le cerveau et s’y irradient. Mais, au point de vue général de la philosophie, l’idée du sommeil n’est pas pour cela, comme le croit l’école de Paris, un simple « reflet » de mouvemens qui pourraient aussi bien exister sans aucun contenu mental ; il y a là des parties également nécessaires d’un même tout, et on n’a pas le droit de déclarer que l’une ou l’autre est un reflet superflu. C’est passer indûment du point de vue de la mécanique au point de vue de la philosophie, et d’une philosophie inexacte. — Pourtant, nous dira-t-on, une idée est, pour un philosophe, un ensemble de sensations renaissantes ; or, comme les sensations dépendent des excitations périphériques, l’idée elle-même, qui nous paraît interne, dépend tout entière des excitations externes : elle emmagasine donc simplement l’action du dehors sur nous. — Cette opinion, soutenue par MM. Binet et Féré,