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mouvement et de la pensée, qui iraient chacun de son côté et par soi, et qui se trouveraient cependant toujours parallèles ? Non, il n’existe qu’une seule et unique réalité, océan immense dont les faits dits physiques et les faits dits psychiques sont tous des flots, contribuant pour leur part à la tempête éternelle. Physique ou psychique, c’est simplement affaire de degrés. Nous appelons physique ce que nous avons, par abstraction, dépouillé le plus possible d’élémens empruntés à notre faculté de sentir et de penser ; mais où est la machine pneumatique assez puissante pour vider complètement le physique de tout élément psychique, par exemple de tout résidu de la sensation ? D’autre part, nous appelons psychique le phénomène plus complet et plus concret, plus avancé dans l’évolution, tel que nous le sentons et l’éprouvons, le vrai phénomène d’expérience, tel qu’il est pour l’expérience même et dans l’expérience, avec toutes ses qualités et rapports, — parmi lesquels, d’ailleurs, se trouvent les qualités mécaniques et les rapports mécaniques. Ainsi pris dans son ensemble, croit-on que le phénomène soit moins réel et que, en devenant fait d’expérience, il ne soit plus qu’un aspect et une ombre de lui-même ? Tout au contraire ; c’est là qu’il vit et se sent vivre, c’est là qu’il existe en soi et pour soi tout ensemble. Il n’a jamais été aussi réel que quand il est senti et pensé, quand il dit : Je me sens et je me pense.

De nos jours, non-seulement on suppose une séparation du physique et du mental telle que l’un pourrait exister sans l’autre, mais on admet, encore plus arbitrairement, que l’un des deux est seul l’agent, l’autre la simple représentation. L’un agirait donc sans sentir (la matière), l’autre sentirait sans agir (la conscience). Ce n’est plus le parallélisme de Leibniz, c’est la réduction du mental à un mode d’existence morte. On aboutit alors à cette étrange chose : un monde de réalités doublé d’un monde de représentations ou de reflets. Où se produit le reflet mental ? Il ne peut être lui-même un pur mouvement, puisque l’on convient qu’entre un mouvement et une représentation il y a un abîme. Si, comme ce système le prétend, le mouvement est toute la réalité, comment peut-il y avoir encore au-delà des « reflets, » et des reflets qui jouissent ou souffrent, des reflets qui pensent, des reflets qui aiment ou haïssent ? Quel est ce mode paradoxal d’existence qui consiste à être reflet sans rien de plus et à exister ainsi en dehors de la réalité même ? Cette idée de reflet n’est qu’une fausse métaphore ; il n’y a pas de pur reflet ; les ombres chinoises elles-mêmes agissent, en ce sens qu’elles sont des mouvemens de la lumière conditionnés par nos gestes, mais qui, à leur tour, conditionnent autre chose ; elles ne réagissent pas sur nos gestes, soit ; elles