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certain état des organes peut entraîner la réalité même de cet état. La philosophie de l’évolution, en refusant le pouvoir de se développer à tout ce qui n’est pas pratique, conséquemment moteur, permet donc déjà d’induire que les faits de conscience ne sont pas des reflets inefficaces, mais des moyens d’action et de mouvement, en un mot d’évolution.

En outre, admettre la complète inertie du mental, c’est supposer que, quand l’évolution est arrivée à produire ce phénomène merveilleux, la conscience, elle s’arrête là, ne va pas plus loin, ne fait plus servir ce phénomène à en amener d’autres. Par là, on pose une borne à l’évolution, et de quel droit ? Comment la nature coupe-t-elle court à sa longue série d’équations mécaniques par ce point d’exclamation, le sentiment, et par ce point d’interrogation, la pensée ?

La théorie aujourd’hui régnante est l’exagération, ou plutôt l’interprétation inexacte des conceptions de Descartes et de Leibniz. Descartes avait opposé à la pensée consciente un monde d’étendue complet et constant dans son énergie mécanique. L’harmonie préétablie de Leibniz supprima toute action « transitive » d’un être sur l’autre, pour la remplacer par deux chaînes d’actions immanentes qui se trouvent en parfaite correspondance ; mais cette correspondance même, comment l’expliquer ? On sait que Leibniz recourt à une action de Dieu sur les deux chaînes à la fois. Fort bien ; mais cette action de Dieu est elle-même transitive : la difficulté est donc simplement remontée jusqu’au clou divin où sont suspendues les deux chaînes. Plus conséquent est Spinoza, qui, au lieu de concevoir Dieu comme cause transitive du monde, le conçoit comme « cause immanente » et comme « substance. » Nous avons ainsi deux séries de modes : les modes de l’étendue ou mouvemens, les modes de la pensée ou idées. Ce sont les deux aspects de la réalité admis encore aujourd’hui par tant de philosophes et de savans. Par malheur, la « substance » est, comme la force inconnaissable de Spencer, une conception qui n’explique rien ; c’est x. Selon nous, le monisme est vrai, mais il ne doit plus reposer sur une idée transcendante, comme celle de substance ou d’inconnaissable ; il faut lui donner une signification vraiment expérimentale. Or, à ce point de vue, l’harmonie du mouvement et de la pensée admise par Descartes, par Leibniz, par Spinoza, ne nous semble exprimer que grossièrement les deux principales classes de phénomènes auxquels, pour la commodité de notre science, nous réduisons tout le reste. N’y a-t-il pas quelque chose d’un peu puéril dans la division en deux de l’univers, dans la dichotomie du