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amour-propre que pour un autre motif. Quand la déclaration des droits eut enfin été votée par l’assemblée, après un débat un peu confus, Mirabeau poussa un soupir de soulagement. Il est tout consolé de l’échec de son projet par la satisfaction d’en avoir fini avec une discussion fastidieuse : « L’assemblée nationale, dit-il ironiquement, est enfin sortie de la vaste région des abstractions du monde intellectuel, dont elle traçait si péniblement la législation métaphysique ; elle est revenue au monde réel et s’est mise à régler tout simplement la législation de la France. »

La destruction des privilèges avait duré moins de temps ; il avait suffi d’une séance pour emporter le régime féodal. « Voilà bien nos Français, disait encore Mirabeau ; ils sont un mois entier à discuter sur des syllabes, et dans une nuit ils renversent tout l’ancien ordre de la monarchie. » Immédiatement après cette action d’éclat, la plus noble et la plus héroïque qui ait jamais été commise par une assemblée, l’œuvre doctrinale allait être reprise. La déclaration des droits de l’homme n’était que la préface de l’organisation constitutionnelle qu’avaient demandée les cahiers des états-généraux, qu’attendait le pays. Des historiens étrangers, quelquefois même des historiens français, reprochent à l’assemblée nationale de n’avoir pas réussi dans son entreprise. On l’accuse d’avoir fait table rase de tout le passé, de n’avoir rien su conserver des idées, des traditions que lui léguaient les générations précédentes. On a dit qu’elle bâtissait sur le sable parce qu’elle ne faisait reposer son édifice sur aucune fondation antérieure. Il faudrait cependant s’entendre. Quel héritage constitutionnel lui léguait donc ce passé dont on parle ? que pouvait-elle sauver d’une organisation qui n’existait pas ? L’imprévoyance des gouvernans et les dures nécessités de l’heure présente l’obligeaient à construire de toutes pièces un monument nouveau.

Elle manquait assurément d’expérience, elle nourrissait trop d’illusions. Elle eut surtout le tort de s’isoler du gouvernement et de se priver ainsi d’un concours nécessaire. Mais est-ce bien sa faute, si le roi et son conseil avaient commencé par prendre parti contre toute nouveauté, par vouloir ramener la France à des précédens tombés en désuétude, abandonnés depuis deux siècles ? Pouvait-elle leur demander de collaborer à une œuvre qu’ils avaient déclarée, dès l’origine, inutile et dangereuse ? Elle se trompa évidemment, en croyant pouvoir constituer avec une seule chambre un régime représentatif. Mais les circonstances lui permettaient-elles de faire autrement ? Au moment où l’on venait de lutter contre les ordres privilégiés si imprudemment soutenus par le roi, la création d’une seconde chambre n’aurait-elle pas ressemblé à un