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l’idéalisme de nos pères ne prenait sa source dans les sentimens les plus généreux. Pouvaient-ils, d’ailleurs, échapper à la nécessité de remplacer la toute-puissance d’un seul, qui avait été jusque-là le code de la monarchie, par la reconnaissance des droits de chacun ? Était-ce leur faute s’ils trouvaient presque tout à faire, si les lois fondamentales du royaume avaient fini par être dénaturées et absorbées au profit d’une volonté unique ?

Les cahiers du tiers-état, du clergé et même de la noblesse exprimaient à cet égard un vœu formel. On demandait aux députés, non-seulement une constitution, mais une déclaration des droits de l’homme. La noblesse de Paris avait donné l’exemple et rédigé d’avance un projet complet de déclaration. Plus tard, quelques-uns de ceux qui avaient participé à cette œuvre doctrinale parurent le regretter en voyant les excès de la révolution. Leurs regrets sont exagérés ; comme le dit avec émotion M. Charles de Loménie : « Ne jugeons pas trop rigoureusement l’idéalisme de cette époque. Il a suscité trop d’enthousiasme généreux dans les meilleurs esprits, fait germer trop de vertus guerrières, réalisé, au travers de tant de convulsions, de déchiremens, de luttes sanglantes, des conquêtes morales trop générales dans toute l’Europe, pour n’avoir été qu’un principe d’erreur ou qu’une sorte d’ivresse intellectuelle. »

En rédigeant la déclaration des droits de l’homme, l’assemblée s’inspirait du désir le plus généralement exprimé et des besoins les plus urgens du pays. Quelle avait été la grande victime des temps antérieurs, le souffre-douleur de toutes les époques, celui qui en Angleterre avait réussi à se défendre et qui en France avait toujours succombé ? Le citoyen isolé, l’individu. C’est lui qu’il faut protéger désormais, c’est pour lui qu’on établit des principes inviolables, supérieurs aux formes mobiles des gouvernemens. Dans cette œuvre de protection individuelle, la pensée des législateurs va au-delà du temps présent. La seule oppression qui fût à craindre autrefois était celle du souverain ou de ses représentans. Au pouvoir personnel va se substituer peut-être le pouvoir des assemblées qui écraseront de nouveau l’individu au nom de la majorité. Il importe de le défendre d’avance contre une tyrannie non moins injuste, non moins redoutable que la première. Chaque citoyen a des droits dont la majorité elle-même ne peut le priver que par un abus de la force. Ces droits que l’assemblée eut l’honneur de proclamer la première, et qui sont devenus indestructibles, s’appellent l’égalité devant la loi, la liberté de la personne, la liberté de conscience, la liberté du culte, la liberté de la presse, la souveraineté nationale, la séparation des pouvoirs. Toutes les constitutions qui