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sévérité dont son inconscience morale ne comprenait pas bien les causes et qu’il n’aurait pour son compte appliquée à personne.

Une telle situation ne pouvait se prolonger. Le talent a une puissance qui s’impose aux hommes assemblés. Mirabeau y joignait le don de la séduction, un esprit aisé et charmant, une grâce naturelle qui l’avait souvent rendu irrésistible auprès de ceux dont il voulait conquérir les suffrages. Personne, d’ailleurs, n’était mieux préparé que lui à jouer un rôle politique. Comment n’eût-on pas été frappé de l’étendue et de la variété de ses connaissances ? Non-seulement aucun de ses collègues, mais aucun homme de sa génération n’avait accompli un travail comparable au sien. Aucune des questions du moment ne lui était étrangère. Il avait écrit sur toutes, il avait exprimé sur toutes des idées personnelles ou qui étaient devenues siennes grâce à une rare faculté d’assimilation. A travers les désordres de sa vie, ses habitudes laborieuses ne s’étaient jamais démenties. Il recueillait dans l’héritage paternel avec les principes de l’instruction la plus solide le goût passionné de l’étude. Comme son père, il ne cessait d’écrire, de composer, de publier. Tous deux avaient vécu, pour ainsi dire, la plume à la main. Histoire, politique pure, diplomatie, finances, économie sociale, que de sujets Mirabeau n’avait-il pas abordés depuis sa jeunesse ! Que d’œuvres accumulées en un court espace de temps : Essai sur le despotisme, Avis aux peuples de l’Allemagne, Lettres de Vincennes, Essai sur la tolérance, Histoire de Philippe II, Lettres de cachet et prisons d’état, Monarchie prussienne, Histoire secrète de la cour de Berlin, sans parler des écrits de circonstance, des brochures publiées contre M. de Calonne, contre Necker, contre Beaumarchais ; sans parler des volumes de notes secrètes adressées au ministre des affaires étrangères. Il avait fait tenir en quinze ans le labeur de toute une vie.

Quel fonds solide pour les luttes oratoires ! quelle supériorité un homme si bien armé n’aura-t-il pas dans le détail et dans la discussion des affaires ? Sous les formes heureuses de l’improvisation la plus brillante, on reconnaîtra toujours la solidité de la préparation. La chaleur et l’émotion de la bataille pourront amener sur les lèvres de l’orateur des hardiesses ou des bonheurs d’expression ; en ce qui concerne les idées elles-mêmes, il en sera depuis longtemps imprégné. Les souvenirs classiques, les citations modernes, les comparaisons entre les différens états et les constitutions différentes couleront en quelque sorte de source au premier appel de sa volonté. En lisant les discours conservés des orateurs modernes les plus célèbres, nous sommes quelquefois étonnés du vide de la pensée. Quand la voix, l’accent, les gestes, la mimique, l’action oratoire, tout ce qui exerce une influence