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tout de suite à toutes les pressions, parce que sa masse fait sa consistance, parce que des hommes serrés les uns contre les autres se tiennent plus longtemps debout. « Notre vin, disait le cardinal Maury, n’a pas été trouvé bon en cercle ; vous verrez qu’il sera meilleur en bouteille. » Aussi bien, avant de l’y mettre et au préalable, on l’a filtré, clarifié, débarrassé des élémens mauvais qui le troublaient et le faisaient fermenter ; quelques-uns des opposans sont en prison ; plusieurs se sont retirés dans leurs diocèses ; le demeurant, ramené à Paris, est savamment travaillé, chaque membre à son tour, à part et chambré, en tête à tête avec le ministre des cultes, jusqu’à ce que tous aient signé, un à un, la formule d’adhésion ; là-dessus, le concile, épuré et préparé, est réuni de nouveau pour voter, par assis et levé, dans une séance unique ; par un reste de pudeur, il introduit dans le décret une clause suspensive, l’apparence d’une réserve[1], mais il rend le décret commandé. Tel un corps d’armée, un régiment étranger, qui, enrôlé, encadré et poussé l’épée dans les reins, sert malgré lui contre son prince légitime ; il voudrait bien ne pas marcher à l’assaut, au dernier moment il tâche de tirer en l’air, mais, finalement, il marche et il tire.

De l’autre côté, et sur le pape lui-même, Napoléon opère de même, avec autant d’habileté et de rudesse. Comme pour sa campagne de Russie, il s’est préparé de longue main. Au commencement, c’était une alliance, et il a concédé au pape, comme au tsar, de grands avantages qui leur resteront après sa chute ; mais il ne les a concédés qu’avec une pensée de derrière, avec le besoin instinctif et le dessein prémédité d’exploiter l’alliance conclue, jusqu’à faire du souverain indépendant, en qui il reconnaît un égal, son subordonné et son instrument ; de là, brouille et guerre. Cette fois aussi, dans l’expédition contre le pape, sa stratégie est admirable : tout le terrain ecclésiastique étudié d’avance, l’objectif choisi[2], toutes les forces disponibles utilisées et dirigées par étapes vers le point central de convergence où la victoire sera décisive, d’où la conquête pourra s’étendre et où la domination définitive viendra s’asseoir ; l’emploi successif et simultané de tous les

  1. D’Haussonville, IV, 366 (dernière phrase du texte) : « Une députation de six évêques ira prier Sa Sainteté de confirmer ce décret. »
  2. Pour un lecteur ordinaire, même catholique, s’il n’est pas versé dans le droit canon, les exigences de Napoléon paraissent médiocres et même acceptables : elles se réduisent à fixer un délai et semblent n’ajouter qu’à la compétence des conciles, à l’autorité des évêques. (D’Haussonville, IV, 366, séance du concile, 5 août 1811, propositions adoptées et décret. — Cf. le Concordat de Fontainebleau, 25 janvier 1813, article 4.)