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N’était-il pas naturel, nécessaire même, qu’une famille si considérable et si illustre à ses yeux fût représentée aux états-généraux ? Il sentait d’instinct que ce fils décrié, mais plein de feu, d’éloquence et d’audace, allait remuer sa vieille province et y rajeunir la gloire de sa maison. Quelle revanche possible de la destinée ! quelle compensation à tant d’amertumes et de déceptions qui avaient assombri son existence ! Le grand rôle qu’il avait rêvé, que le désordre de sa fortune, que le dévergondage de sa femme et de ses enfans l’avaient empêché de jouer, son fils le jouerait peut-être. Le nom sonore des Mirabeau, par lequel ses ancêtres avaient remplacé les obscurs Riquetti, retentirait encore une fois à travers la Provence. Le vieux gentilhomme dont la vie avait été si dure, malgré son énergie et ses talens, éprouvait à cette pensée un frémissement d’orgueil. On dirait qu’au moment de mourir, avec la clairvoyance qu’ont souvent les mourans, il lisait plus clairement que personne dans l’avenir de sa race. La lettre qu’il écrit en janvier 1789, lorsque son fils part pour la Provence, a presque le caractère d’une prophétie.

« De longtemps, écrit-il, ils n’auront vu une telle tête en Provence ; le calus qui n’en faisait que de l’airain sonnant avec fougue est rompu ; je l’ai vérifié par moi-même, et dans quelques conversations et communications j’ai aperçu vraiment du génie… Un travail infatigable qui est vraiment unique, son ne douter de rien, et sa hauteur innée, jointe à beaucoup de ce qu’on appelle esprit, en ont fait un personnage et dans la banque et dans l’imprimerie, surtout dans la politique moderne… La populace des écoutans voit en lui l’homme qui a détruit en France la banque de Saint-Charles, terrassé le fantôme des Eaux Périer, dénoncé et accablé les agioteurs… tandis que des manières nobles, le faste des habits en un siècle de mode dépenaillée, les doubles et triples secrétaires et antichambre peuplée, hauteur respectueuse avec les grands, consortie et primauté d’éloquence avec les docteurs, plaisanterie gaie et noble avec les femmes, et impétuosité dominante avec tout ce qu’il met en œuvre, en font un personnage chargé de reliques, qui semblent tenir à la peau. »

Quel accueil allait faire la Provence à ce descendant d’une des plus nobles familles du pays ? Mirabeau y arrivait sans parti-pris, avec l’unique résolution d’être député, tout prêt à s’entendre avec ceux qui assureraient son élection. Sa place était marquée dans l’ordre de la noblesse ; il y serait certainement resté si on l’eût bien accueilli. Mais là se trouvaient précisément quelques-uns de ses anciens adversaires, des parens et des amis de sa femme qui, autrefois, avaient pris parti contre lui dans son procès. On lui