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culte public et la religion sainte de nos pères, et pour en être le protecteur. » Voilà ce que dans chaque paroisse de l’empire, devant le vicaire ou le curé, tous les petits garçons et toutes les petites filles viendront, de leur voix clairette, réciter après vêpres, comme un commandement de Dieu et de l’Église, comme un article de foi supplémentaire. Cependant, du haut de la chaire[1], à l’office du matin ou du soir, la voix grave de l’officiant commente cet article, déjà très clair : par ordre, il prêche pour la conscription : c’est un péché que de s’y dérober, d’être réfractaire ; par ordre encore, il lit les bulletins de l’armée, le récit des dernières victoires ; toujours par ordre, il lit le dernier mandement de son évêque ; c’est une pièce autorisée, inspirée, corrigée par la police. Non-seulement les évêques sont tenus de soumettre à la censure toutes leurs lettres pastorales et instructions publiques ; non-seulement, en manière de précaution, on leur a défendu de rien imprimer, sauf par les presses de la préfecture ; mais encore, pour plus de sûreté, la direction des cultes les informe incessamment de ce qu’ils doivent dire. Avant tout, ils doivent louer l’empereur ; dans quels termes, avec quelles épithètes, sans indiscrétions ni maladresses, de façon à ne pas s’ingérer dans la politique, à ne pas avoir l’air d’un pantin manœuvré d’en haut, à ne point passer pour un simple porte-voix, cela n’est pas indiqué, et cela est difficile. « Il faut, disait Real, préfet de police, à un nouvel évêque, il faut, dans vos mandemens, louer l’empereur davantage. — Donnez-moi la mesure. — Je ne la sais pas. » — Puisque la mesure reste indéterminée, il convient de la faire large. — Sur les autres articles, point d’embarras. En chaque occasion, les bureaux de Paris ont soin d’envoyer aux évêques l’esquisse toute faite de leur prochain mandement, le canevas sur lequel ils broderont les fleurs ordinaires de l’amplification ecclésiastique ; selon les lieux et les temps, le canevas diffère. En Vendée et dans l’Ouest, les prélats devront flétrir a les odieuses machinations de la perfide Albion, » expliquer aux fidèles la persécution que les Anglais font subir aux catholiques d’Irlande. Si l’ennemi est la Russie, le mandement rappellera qu’elle est schismatique, et que les Russes méconnaissent la suprématie du pape. — Puisque les évêques sont fonctionnaires

  1. D’Haussonville, II, 239, 237, 272. Pelet de La Lozère, 201. « D’autres fois, Napoléon se louait des prêtres, voulait leurs services, attribuant en grande partie à leur influence le départ des conscrits et les soumissions des peuples. » — Id., 173 (20 mai 1806, paroles de Napoléon). « Les prêtres catholiques se conduisent très bien et sont d’un très grand secours : ils ont été cause que la conscription de cette année a été beaucoup mieux que celle des années précédentes… Aucun corps de l’état ne parle aussi bien du gouvernement. »