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lueur qui convient au plus désastreux des incendies. Une odeur acre se répand dans l’atmosphère, les maisons voisines sont noircies d’une couche épaisse de charbon, en attendant l’heure où la flamme, poussée et attisée par le vent, les dévorera à leur tour, avec les immenses réservoirs de pétrole qu’elles contiennent. Qu’on se représente l’aspect du pays et l’état d’esprit des habitans durant l’incendie du Droojba, qui ne s’éteignit qu’au bout de dix semaines ! Ces accidens deviennent heureusement de plus en plus rares, malgré le peu d’intervalle qui sépare les puits ; sans doute, à force de vigilance et de précautions, on les rendra plus rares encore, surtout si le gouvernement intervient et force les propriétaires à ne rien négliger pour assurer leur sécurité.

La production des États-Unis, qui était en 1883 de 460 millions d’hectolitres, tomba en 1884 à 445 millions et en 1885 à 400 millions d’hectolitres[1] ; celle du Caucase, qui n’atteignit en 1883 que 110 millions d’hectolitres, s’est, au contraire, accrue rapidement à mesure que l’outillage et les moyens de transport s’y sont perfectionnés : d’ailleurs, l’avenir de Bakou est immense, tandis que celui des États-Unis devient inquiétant, et le jour du triomphe définitif du pétrole caucasien ne saurait être bien éloigné, si l’on en croit M. Marvin, M. Stowell et M. Paul de Tchihatchef : « C’est une victoire, s’écrie ce dernier dans un élan d’enthousiasme bien naturel, dont les peuples de l’Asie centrale seront les premiers à s’apercevoir, à mesure que leurs déserts seront sillonnés de voies nouvelles, analogues au transcaspien du général Annenkof. Et, quand ces lignes, nécessitées par les besoins du commerce de Bakou plus encore que par les exigences des stratégistes, ne rendraient d’autre service que celui d’accélérer entre l’Angleterre et la Russie l’établissement d’une entente amicale, elles seraient déjà fort utiles à l’humanité. Est-il donc impossible que la considération des avantages procurés par une longue paix assure enfin la prolongation de cette paix si prospère ? Le jour où l’accord de ces deux puissances aura déterminé la renaissance de la prospérité orientale anéantie depuis si longtemps par les invasions mongoliques, la tranquillité de l’Orient se trouvera établie sur des bases indestructibles, et c’est encore le pétrole qui aura le plus puissamment contribué à cet heureux résultat[2]. »

Ajoutons, pour terminer, que les terrains pétrolières, anciennes propriétés des beys tartares et persans qui dominaient dans le pays, sont aujourd’hui pour la plupart entre les mains des industriels qui

  1. L’unité en usage est le baril de 42 gallons ; on sait que la contenance d’un gallon est de 4 litres 1/2 environ.
  2. Voyez la Revue du 1er octobre 1888.