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renouveler les puits une fois taris ; c’est le colonel américain Roberts qui en eut le premier l’idée en 1862 pour désagréger les parois de rochers interposées entre l’ancienne source et les nouvelles et éviter ainsi un nouveau forage ; l’expérience définitive eut lieu en 1866 avec un succès complet ; elle dissipa les craintes de ceux qui redoutaient un effondrement, et l’on crut voir, suivant les expressions du Taylor’s Handbook of petrole de 1884, « se renouveler le miracle de Moïse au rocher d’Horeb. » On détermine l’explosion par la chute d’un lingot de fer de 6 à 7 kilogrammes ; plusieurs minutes après, un bruit sourd arrive à la surface de la terre, en même temps qu’un jet de liquide mêlé de fragmens de roc. C’est ainsi que fut renouvelé le plus abondant des puits d’Amérique, le puits n° 2 de la compagnie Semple, Boyd et Armstrong dans le district de Thorn Creek. On vit successivement jaillir avec violence une colonne d’eau, un torrent de boue et de glycérine brûlée dont la couleur s’éclaircit peu à peu, puis un courant de gaz accompagné d’un grondement assourdissant et terrible comme celui du tonnerre, tandis que d’épais nuages dérobaient la vue du puits ; enfin, ce fut une superbe colonne dorée de 80 pieds, droite comme un I, qui, pendant près d’une heure, unit l’orifice du puits au sommet du pylône. En quelques heures, la contrée environnante fut couverte d’huile qui s’accumula dans les bas-fonds ; des amas de vapeurs inflammables se répandirent sur la colline, et tous les habitans de Thorn Creek, après avoir éteint leurs feux, s’enfuirent en toute hâte. Un contremaître qui voulait fermer le puits faillit être asphyxié et tomba sans connaissance. Le lendemain seulement on put maîtriser le puits et le mettre en communication avec les réservoirs. La production du premier jour fut estimée à 17,000 hectolitres.

On pense bien que le voisinage de ces énormes quantités de pétrole et des machines à vapeur nécessaires à l’exploitation n’est pas sans faire courir aux industriels les plus grands dangers ; le contact des gaz inflammables dont l’air est saturé et des foyers des locomobiles, celui des vapeurs de pétrole avec les chaudières des bateaux, celui du pétrole lui-même, répandu par mégarde ou projeté par les puits jaillissans avec une flamme quelconque, déterminent de fréquentes explosions, d’autant plus terribles qu’elles se produisent inopinément, sans cause apparente. Le spectacle de l’incendie d’un puits jaillissant est effroyable ; on peut à peine se faire une idée de ces colonnes de feu, hautes de 60 ou 80 mètres, qui retombent en une horrible pluie, non pas d’étincelles comme les fusées de nos feux d’artifices, mais d’énormes masses embrasées, comme une grêle de boulets rouges ; c’est une lueur sinistre, d’un rouge teinté de noir, voilée par instans de nuages fuligineux ; c’est la