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une cause de ruine dans l’Apchéron. La presse russe a souvent protesté contre le maintien d’un système qui fait perdre en moyenne la moitié du pétrole découvert, et gaspiller la richesse nationale. MM. Nobel frères, d’origine suédoise, sont à peu près les seuls qui ne soient pas trop en retard sur les industriels de l’Union. D’autre part, la discorde règne en maîtresse parmi les propriétaires, et il n’est pas rare d’en voir qui font incendier les puits de leurs voisins et détruire leur matériel. Espérons que le temps, qui a déjà plusieurs fois arrangé les choses, fera peu à peu disparaître toutes ces ombres, et que bientôt le pétrole du Caucase triomphera, comme il le mérite, de tous ses concurrens d’Asie et de Pensylvanie.

Voici maintenant l’histoire de quelques-uns des puits célèbres de Bakou : en juillet 1873, un ingénieur allemand, décidé à pousser plus avant le forage d’un puits de Balakhané qui semblait épuisé, perdait, à 90 mètres, toute trace de naphte ; il restait seulement un dégagement considérable de gaz. A 100 mètres, on rencontra un lit de rochers très résistans, mais heureusement peu épais, et, au-delà, un seul homme suffisait pour continuer le travail. Comme on retirait momentanément le trépan pour l’examiner, un faible jet de naphte suivit, puis un violent courant de gaz, accompagné d’explosions souterraines et de trépidations du sol, enfin un nouveau jet de naphte. L’ingénieur fit appliquer sur le puits un kalpak de quelques centimètres : or, la même nuit, le naphte jaillit avec une violence extraordinaire, le kalpak fut brisé et projeté au loin ainsi que la cheminée, et l’on vit s’élever une énorme colonne brunâtre dont le débit atteignit près de 2,800 hectolitres en vingt-quatre heures ; l’éruption dura trente jours sans pouvoir être maîtrisée, et tout le liquide fut perdu. On fit à ce sujet une remarque souvent renouvelée depuis : c’est que le poids spécifique du naphte est en raison inverse de la force du jet.

En 1877, les frères Orbelovi avaient un puits de 66 mètres, dont le diamètre à l’orifice était d’environ 27 centimètres ; ils le firent couvrir d’un kalpak très lourd et très solide ; mais le liquide jaillit avec tant de force que, ne pouvant sortir par l’orifice, il éventra les parois et remplit en une demi-heure un réservoir de 2,000 hectolitres, pour se répandre ensuite dans la campagne. La production journalière en fut estimée à 50,000 hectolitres, et, au total, près de 2 millions d’hectolitres se perdirent dans les sables. Aussi a-t-on pris l’habitude d’entourer de constructions en maçonnerie l’orifice des puits jusqu’à une certaine profondeur, pour empêcher le renouvellement d’un accident pareil.

Il arrive souvent qu’un puits jaillissant devient, au bout de plusieurs mois, un puits ordinaire : ce fut, en 1877, le cas du