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qu’il a mis dans l’épiscopat par mégarde, ses évêques sont contens d’être barons, et ses archevêques d’être comtes ; ils se félicitent de monter en grade dans la Légion d’honneur ; ils allèguent tout haut, à l’éloge du nouvel établissement, les honneurs et dignités qu’il leur confère, tels et tels prélats devenus membres du corps législatif ou sénateurs[1] ; plusieurs en secret reçoivent le prix de services secrets, des encouragemens pécuniaires, telle somme en espèces sonnantes. Au total, Napoléon a calculé juste ; avec des hésitations et des remords, presque tout son personnel épiscopal, italien et français, soixante-six prélats sur quatre-vingts sont sensibles « aux influences temporelles ; » ils cèdent à ses séductions et à ses menaces ; ils vont accepter ou subir, même en matière spirituelle, son ascendant définitif[2]. D’ailleurs, parmi ces dignitaires, presque tous corrects ou du moins de tenue décente, la plupart assez honorables, Napoléon en a trouvé quelques-uns dont la servilité est parfaite, gens sans scrupule, bons à tout faire, et tels qu’un prince absolu les peut souhaiter, les évêques Bernier et de Pancemont, gratifiés l’un de 30,000 francs et l’autre de 50,000 francs[3] pour le vilain rôle qu’ils ont joué dans les négociations du Concordat, un cynique avare et brutal, comme Maury, archevêque de Paris, un mercenaire intrigant et sceptique, comme de Pradt, archevêque de Malines, un vieil imbécile à genoux devant le pouvoir civil, comme ce Rousseau, évêque d’Orléans, qui publie un mandement pour déclarer le pape aussi libre dans sa prison de Savone que sur le trône de Rome. A partir de 1806[4], afin d’avoir en main des hommes plus souples, Napoléon,

  1. D’Haussonville, IV, p. 58. Adresse de la commission ecclésiastique énumérant, parmi les faveurs conférées à la religion, « la décoration de la Légion d’honneur accordée à un grand nombre de prélats, les titres de baron et de comte affectés aux évêques et archevêques de l’Empire, l’admission de plusieurs d’entre eux dans le corps législatif et le sénat. »
  2. Id., IV, p. 366. (Dernière séance du concile national, 5 août 1811.)
  3. Id., I, p. 203-205.
  4. Id., II, p. 227. — Cf. l’Almanach impérial de 1806 à 1814. — Lanfrey, Histoire de Napoléon, V, p. 208. Le prince de Rohan, premier aumônier, écrit dans une requête : Le grand Napoléon est mon Dieu tutélaire. En marge de la requête, Napoléon appose la décision suivante : « Le duc de Frioul fera payer au premier aumônier 12,000 francs sur la caisse des théâtres. » (15 février 1810.) — Un autre exemplaire du même type est M. de Roquelaure, archevêque de Malines, qui adresse à Joséphine un petit discours d’ancien régime à la fois épiscopal et galant : sur quoi, le Premier Consul le nomme membre de l’Institut. (Bourrienne, V, p. 130.) Dans l’administration de son diocèse, cet archevêque appliquait avec zèle la politique du Premier Consul : — « On l’a vu suspendre de ses fonctions un prêtre qui avait exhorté un mourant, acquéreur de biens ecclésiastiques, à restituer. » — (Dictionnaire biographique, publié à Leipzig, par Eymery, 1806, 1808.)