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Mercure. » Les Anglais furent les premiers explorateurs de la Caspienne ; donc ils devraient aujourd’hui en accaparer les richesses. Conclusion bizarre, à coup sûr, mais éminemment britannique. Elle est plus sage peut-être que la modération et la négligence des Français, trop désintéressés dans une question si importante pour leur influence, leur puissance et leur bien-être. D’ailleurs, M. Marvin a bien d’autres soucis : la flottille de guerre mouillée dans le port de Bakou pourrait en vingt-quatre heures débarquer sans bruit des régimens entiers dans le Mazanderan sur la route du golfe Persique : « C’est, dit-il, l’imbécillité persistante (persistent imbecility) des diplomates anglais que de supposer la Perse capable de résistance ; » une armée la traverserait sans peine et sans obstacle : que sera-ce dans quelques années avec les progrès de la russification du Caucase, quand Adji-Kaboul et Erivan seront aussi russes que Kiev et Kalouga, quand le chemin de fer russe projeté par M. Yogel reliera la Caspienne au golfe Persique ? Ce chemin de fer de 1,100 ou 1,200 kilomètres, plus court que la route des caravanes de Recht à Buchire (1,600 kilomètres), suivrait à partir d’Erivan la vallée de l’Araxe pour gagner vers le sud un port dans le Lenkoran : dès lors l’influence russe envelopperait la Caspienne de tous les côtés. M. Marvin ajoute que l’indépendance de la Perse est extrêmement menacée par les convoitises russes, car le gouvernement persan assiste impassible à l’agonie politique de la Perse, dont les 7 millions d’habitans disséminés dans les montagnes et les déserts ne manifestent ni vitalité nationale, ni amour de la liberté.

En attendant, la Russie accapare sans fracas, mais rapidement, tout le commerce de la Perse ; les négocians russes ne peuvent lutter encore avec leurs concurrens allemands, autrichiens et français, et pourtant le jour n’est pas loin peut-être où ces concurrens, si longtemps invincibles, sentiront le terrain se dérober brusquement sous leurs pieds. La Perse exporte en Russie la plus grande partie de ses produits ; la valeur des marchandises persanes qui figurent chaque année à la foire de Nijni-Novgorod est évaluée à 15 millions.

C’est le Volga et les canaux de navigation interfluviale qui favorisent à ce point les transactions commerciales entre Russes et Persans ; les bateaux vont de Recht à Pétersbourg par la Caspienne, le Volga jusqu’à Rybinsk, et les canaux de Rybinsk à la Neva, capables de supporter des bateaux de 400 à 500 tonnes. L’importance extrême de cette route fluviale est indiscutable : le mouvement annuel de la navigation sur le Volga est de 11 millions de tonnes ; il atteint son maximum à l’époque de la foire de Nijni-Novgorod, dont la célébrité est universelle. Aussi M. Marvin, dans