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plus nombreux pour le déchargement des vaisseaux ; on sent que cette richesse est solide, et que cette abondance présage une abondance plus grande encore ; on comprend surtout que Bakou est l’emporium de l’Asie, quand on heurte à chaque pas les laines et les soies grèges du Khorassan, les tapis persans et turkmènes, les magnifiques soieries de Khokand et de Samarkand, et les plantes tinctoriales de toute espèce, grains jaunes, indigo, noix de galles, sans parler du célèbre opium de Sebzavas. Sans doute, Bakou a souffert comme Batoum de l’ukase qui abolissait la liberté du transit ; mais l’Asie a besoin de Bakou ; la ville n’a pas à craindre une Trébizonde rivale, et depuis longtemps, le terrain perdu est regagné.

Tout est donc pour le mieux : le passé est encourageant, le présent superbe, l’avenir éblouissant ; seulement, comme il n’y a pas de ciel sans nuage, la prospérité de Bakou a soulevé d’effroyables et fort redoutables jalousies. Avec un accord qui les honore, et qui fait un peu trembler les négocians russes, les Anglais sont partis en guerre avec leurs capitaux, pour organiser la conquête financière de la Perse. Tandis que les Français détournent leur attention de l’Asie centrale, sous le détestable prétexte qu’ils n’y ont aucun intérêt politique, leurs voisins d’outre-Manche multiplient les entreprises commerciales, les grands travaux d’utilité publique, les constructions de routes et de canaux ; ils ont le monopole de la navigation du Caroun, tributaire du Chat-el-Arab, c’est-à-dire du commerce d’Ispahan ; ils organisent l’Imperial Bank of Persia, qui étend ses ramifications dans la Perse entière ; ils se fortifient en un mot sur le littoral de la mer d’Oman et le golfe Persique pour marcher avec une sécurité complète et une rapidité croissante à la conquête de la Caspienne par le Mazanderan. Sait-on que le gouvernement français, bien loin d’encourager ses nationaux à l’imitation de ces exemples, a supprimé le consulat de Bakou sous prétexte d’économies budgétaires ? Que peuvent faire maintenant les négocians français de Transcaucasie, privés de toute protection ?

Napoléon, dont on connaît l’activité prodigieuse et le vaste génie, ne bornait pas à l’Europe ses projets de domination ; l’idée d’une expédition contre les Indes anglaises le hanta toute sa vie. En 1807, au milieu des soucis de la campagne de Pologne et de Prusse, il envoya en Perse une mission diplomatique et militaire à la tête de laquelle il plaça le général Gardane.

Plus ambitieux que Napoléon lui-même, M. Marvin se demande pourquoi les Anglais ne participeraient pas au transport du pétrole et à la navigation de la Caspienne, qui est actuellement entre les mains de particuliers ou de la compagnie russe « Caucase et