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conséquent, des droits placés par la constitution elle-même sous la garde du congrès. C’est une garantie précieuse, en apparence, car la cour fédérale peut, sous l’impulsion du district attorney, accélérer la marche de la procédure sans se soucier des récriminations ou des passions locales, mettre en réquisition le grand jury et provoquer ses investigations dans les conditions les plus favorables à la répression. En fait, que s’est-il passé ?

M. Blaine nous l’apprend lui-même dans la dépêche du 14 avril : « Aussitôt après les lamentables événemens de la Nouvelle-Orléans, dit-il, le président de la république enjoignit à l’attorney general d’ouvrir une enquête et le pria de lui faire savoir si, dans son opinion, des poursuites criminelles pourraient être dirigées devant les cours fédérales, en vertu des lois fédérales, contre les personnes auxquelles on reprochait d’avoir tué les sujets italiens. Il n’a pas encore reçu de rapport officiel. Si l’on arrive à penser qu’une poursuite peut être exercée conformément au statut fédéral (maintained under the statutes of the United States), l’affaire sera soumise au prochain grand jury, selon les règles qu’on suit, en pareil cas, pour l’administration de la justice criminelle. » Ainsi, dans de telles circonstances et malgré l’urgence manifeste, l’attorney general se taisait depuis un mois, et M. Blaine ajoutait d’ailleurs que, selon toute probabilité, la procédure serait exclusivement suivie devant les cours d’état, c’est-à-dire devant les juges locaux de la Louisiane. Cette réponse n’était pas encourageante et ne pouvait guère, on en conviendra, satisfaire l’Italie. Qu’espérer ? Le consul-général d’Italie à la Nouvelle-Orléans assure, dans son rapport au gouvernement royal, que, le jour même du massacre, les autorités locales avaient été prévenues du complot ourdi contre les prisonniers et déclare être allé voir lui-même le syndic pour le supplier de prendre des mesures sans pouvoir obtenir une réponse favorable ; pendant le massacre, on l’a vu, les agens de la force publique se croisent les bras ; trois jours après le massacre, on lit dans le New-York Herald : « L’état de l’opinion à la Nouvelle-Orléans permet difficilement de supposer que les lynchers répondent de leurs crimes devant les tribunaux. » En effet, tout le monde sait d’avance que l’instruction se poursuit pour la forme et que, malgré l’évidence, les meurtriers ne seront pas mis en accusation. L’Europe apprend enfin avec indignation, mais sans surprise, que le grand jury de la Nouvelle-Orléans a refusé de les mettre en accusation, sous prétexte que le jury de jugement n’avait pas fait son devoir dans le procès criminel intenté contre les assassins de D. Hennessy et que l’élan spontané de l’opinion populaire à la Nouvelle-Orléans, pendant la journée du 14 mars, est un