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surveillans surveillés de la circonscription, confèrent entre eux sur le personnel ecclésiastique du département ; en ceci, comme dans le reste, ils sont et se sentent tenus d’en haut, de court, et forcés, bon gré mal gré, de s’entendre. Collaborateurs obligés et, par institution, auxiliaires l’un de l’autre pour le maintien de l’ordre établi, ils lisent ensemble, article par article, la liste nominative de leurs subordonnés communs ; si quelque nom y est mal noté, si quelque succursaliste est bruyant, incommode ou suspect, s’il y a sur son compte des rapports défavorables du maire, de la gendarmerie ou de la haute police, le préfet, qui allait signer, pose sa plume, allègue ses instructions et, contre le délinquant, demande à l’évêque une mesure répressive, la destitution, la suspension, le déplacement, l’envoi dans une cure inférieure, ou tout au moins la réprimande comminatoire, et l’évêque, que le préfet peut dénoncer au ministre, ne refuse pas cette complaisance au préfet.

Quelques mois après la publication du Concordat[1], Mlle Chameron, danseuse à l’Opéra, étant morte, son convoi, présenté à Saint-Roch, n’y était pas admis, et le curé rigoriste, « dans un moment de déraison, » faisait fermer les portes de l’église : là-dessus attroupement, cris et menaces contre le curé, harangue d’un acteur pour apaiser la foule, et, finalement, transport du cercueil à l’église des Filles-Saint-Thomas où le desservant, « instruit de la véritable morale de l’Évangile, » célèbre le service funèbre. De tels incidens troublent la tranquillité de la rue et dénotent un relâchement de la discipline administrative : en conséquence, le gouvernement, docteur en théologie et en droit canon, intervient et requiert le supérieur ecclésiastique ; avec une raideur hautaine, le Premier Consul, dans un article du Moniteur, donne au clergé sa consigne et lui explique l’usage qu’on fera contre lui de ses prélats. « L’archevêque de Paris a ordonné trois mois de retraite au curé de Saint-Roch, afin qu’il puisse se souvenir que Jésus-Christ commande de prier même pour ses ennemis, et que, rappelé à ses devoirs par la méditation, il apprenne que toutes ces pratiques superstitieuses… qui dégradaient la religion par leur niaiserie, ont été proscrites par le Concordat et par la loi du 18 germinal. » Dorénavant, tous les desservans et curés seront prudens, réservés, obéissans, timides[2] ; car leurs

  1. Thibaudeau, p. 166, et article du 30 brumaire, dans le Moniteur.
  2. Rœderer, III, p. 479 et suiv. (Rapport sur la sénatorerie de Caen.) Partout les prêtres se sentent surveillés et déchus : « La plupart de ceux que j’ai rencontrés me disent : un pauvre curé, un malheureux curé. Les fonctionnaires sont dévoués à l’empereur comme au seul appui qu’ils aient contre les nobles, qu’ils redoutent, et contre les prêtres, qu’ils considèrent peu… Les militaires, les juges, les administrateurs ne parlent des prêtres et du culte qu’en souriant ; les prêtres, de leur côté, parlent avec peu de confiance des fonctionnaires. »