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bâtonné la directrice d’un bar fréquenté par les mineurs : ceux-ci, prenant fait et cause pour la dame ou pour Hippocrate, poursuivirent ce milicien brutal, l’atteignirent, décidèrent de ne pas le remettre au shérif et le pendirent à la maîtresse branche d’un gros pin qui poussait devant la porte d’une petite chapelle à l’usage des Irlandais. A la suite d’un si bel exploit, l’ordre régna pendant quelques jours au mininig-camp, quand on entendit tout à coup une fusillade, et deux ou trois ouvriers tombèrent : trente soldats environ s’étaient échappés du fort pour venger leur camarade, et l’on se fusilla pendant une demi-heure à cent pas de distance. C’était bien à prévoir, et personne, dans le Far-West, ne dut s’en étonner. Ce qui nous étonné, c’est l’indignation manifestée par la presse américaine contre les Italiens installés aux États-Unis, qui n’ont pas accepté de bonne grâce la tuerie du 14 mars.

Le New-York Herald du 17 mars nous apprend, en effet, qu’un officier de police faisant sa ronde a été tout à coup attaqué, presque renversé, Hudson street, au bout de la huitième avenue, par un Italien porteur d’un revolver. « Les Américains ont tué mes compatriotes, je vous tue, » aurait dit cet homme. Ce maladroit agresseur avait été garrotté par une escouade de policemen et conduit en prison. Cependant une feuille italienne publiée à New-York a dit la veille qu’une immense vendetta s’apprêtait sur toute la surface du territoire, et le journal américain lui fait observer que le peuple (people) de la Nouvelle-Orléans s’est prononcé, with or without law[1]. Cette raison ne paraît pas décisive à trois Italiens qui tentent d’assassiner le lendemain, à Chicago, M. Frank Z. Hagardon, pour avoir osé dire qu’il faudrait pendre la Mafia tout entière. Le 23 mars, des meetings italiens se réunissent à Brooklyn et à Jersey-City : on y proteste contre le lynching de la Nouvelle-Orléans. A Jersey-City, on organise une procession conduite par deux jeunes filles en habits de deuil ; à Brooklyn, le président de l’assemblée déclare que l’Italie doit obtenir à tout prix la punition de Parkerson et de ses complices, quand il lui faudrait engager une guerre contre les États-Unis. Le même jour, un meeting de quinze cents Italiens se tient à Troy, dans l’état de New-York : la salle est envahie par la foule et des coups de pistolet sont échangés. Après quoi, la police de New-York reçoit l’ordre d’arrêter la rapide organisation des Italiens, qui veulent former une ligue de revanche : les leaders de la Mafia à la Nouvelle-Orléans, L. Centenari et Malecchi, qui viennent d’arriver à New-York, sont avisés que, au premier signal donné pour fomenter une agitation, ils seront incarcérés.

  1. Avec ou sans le concours des lois.