Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’institution du concours, les droits conférés par les grades théologiques, l’attribution des meilleures places aux plus savans, le recours au tribunal diocésain en cas de disgrâce, le débat contradictoire par-devant l’officialité, l’attache fixe par laquelle le curé titulaire, une fois implanté dans sa paroisse, s’y enracinait pour toute sa vie et se croyait lié à sa communauté locale comme Jésus-Christ à l’Église universelle, indissolublement, par une sorte de mariage mystique. « Il faut, dit Napoléon[1], réduire autant que possible le nombre des curés inamovibles et multiplier le nombre des desservans qu’on pourra changer à volonté, » non-seulement transférer dans une autre paroisse, mais révoquer du jour au lendemain, sans formalités ni lenteurs, sans appel, débats et bruit devant un tribunal quelconque. Désormais, les seuls inamovibles sont les quatre mille curés ; tous les autres, sous le nom de succursalistes, au nombre de trente mille[2], simples commis ecclésiastiques, sont livrés au pouvoir discrétionnaire de l’évêque. A lui seul, l’évêque nomme, place, déplace tous ceux de son diocèse ; quand il lui plaît, et d’un signe de tête, il fait passer le plus qualifié du meilleur poste au pire, du gros bourg ou de la petite ville natale, où il vivait à l’aise près de sa famille, à quelque paroisse misérable, à tel village perdu dans les bois ou dans la montagne, sans maison curiale ni casuel ; bien mieux, il le casse aux gages, il lui retire les 500 francs de traitement alloués par l’État, il l’expulse du logement fourni par la commune, il le met à pied sur la grande route, sans viatique, même temporaire, exclu du ministère ecclésiastique, déconsidéré, déclassé, vagabond dans le grand monde laïque, dont il a désappris les voies et dont toutes les carrières se ferment devant lui ; désormais, et à perpétuité, le pain lui est ôté de la bouche ; quand il l’a pour la journée, il ne l’a pas pour le lendemain. Or, chaque trimestre, la liste des succursalistes à 500 francs, dressée par l’évêque, doit être ordonnancée par le préfet ; dans le haut cabinet, près de la cheminée où s’étalent les cartes cornées de tous les personnages considérables du département, devant le buste de l’empereur, les deux délégués de l’empereur, ses deux gérans autoritaires et responsables, les deux

  1. Pelet de La Lozère, p. 200 (22 mai 1804).
  2. Décrets du 31 mai 1804, du 26 décembre 1804, du 30 septembre 1807, avec la liste des succursales par départemens. — Outre les succursalistes payés par l’État, il y avait les vicaires, non moins dépendans de l’évêque et entretenus par les allocations des communes ou par les dons des particuliers. (Bercastel et Henrion, XIII, p. 32, discours de M. Roux-Laborie à la chambre des députés, 1816.) « Dans sa recomposition de l’Église de France, l’usurpateur a établi 12,000 vicaires confiés au secours de l’aumône, et vous ne serez pas étonnés qu’au lieu de 12.000 il n’y en ait eu que 5,000 qui aient eu le courage de mourir de faim ou d’implorer la charité publique… Aussi 4,000 temples des campagnes sont sans culte et sans ministres. »