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rendu la veille par le jury de jugement dans l’affaire des Italiens qui ont assassiné Hennessy. « Je ne désire, ajoute l’orateur, ni renom ni gloire ; je ne suis qu’un simple citoyen de la libre Amérique et je veux faire mon devoir de citoyen. — Prendrons-nous nos fusils ? s’écrie un auditeur. — Oui, oui, répond vivement Parkerson, prenez vos fusils. Prenez-les et réunissons-nous sur-le-champ au Congo-Square. » Les applaudissemens éclatent : la foule suit en bon ordre les leaders, qui marchent au but indiqué ; vers dix heures et demie, la prison de la paroisse (Parish prison) est cernée. On ébranle une des portes, qui paraît n’avoir pas été bien solide, avec de grosses pierres ; on l’enfonce à l’aide d’une poutre employée en guise de bélier. Tout le monde se présente pour entrer ; mais deux hommes sont placés en faction et défendent l’entrée à quiconque n’est pas armé d’un fusil ou d’une carabine Winchester. Il faut encore ouvrir une porte intérieure, et les assaillans, qui remplissent le vestibule, demandent à grands cris que la clé leur soit remise : le personnel de la prison se résigne et donne la clé. Une première cellule est forcée et quelques fusils partent à l’aventure ; mais on n’est pas encore en face de ceux qu’on cherche, et l’un des meneurs doit calmer ces gens trop pressés. De quel côté diriger la chasse ? « Dans la cour des femmes, » crie une voix perçante, et le renseignement est bon. Au moment même de l’envahissement, le personnel avait transféré les Italiens dans le quartier des femmes. « Aucune résistance, dit la Tribune de New-York, ne fut opposée par la police ou par le shérif à l’entreprise de la multitude, armée de fusils et de pistolets, qui ne représentait pas seulement les dernières classes de la population, mais encore les banquiers et les marchands les plus considérables de la Nouvelle-Orléans. Un wagon plein de policemen avait sans doute amené sur les lieux ces représentans de la loi ; mais ceux-ci, bousculés et couverts de boue, ne manifestaient pas le moindre désir de charger la foule. Les envoyés du shérif, jugeant la résistance inutile, assistèrent, les bras croisés, à l’effraction des portes. »

La chasse à l’homme va donc se poursuivre sans obstacle, et ce deuxième acte du drame nous fait frissonner d’horreur. Macheca, qu’on regarde à tort ou à raison comme le chef de la bande, s’est tapi dans un coin, poussant des cris aigus et cachant son visage dans ses mains : douze balles le frappent et l’étendent sans vie sur le sol. Au même moment, quelques-uns des assaillans entraînent hors de la prison un valétudinaire, Manuel Polietz, car il manquerait quelque chose au lynching, si le gros de la foule n’avait pas le spectacle d’une exécution : celui-ci est donc pendu en plein air ; mais, avant qu’il ait perdu connaissance, une douzaine de fusils se sont abaissés et le corps a été criblé de balles. Bugnetto, déjà