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manque à l’appel, le herder relève sa piste et part à cheval dans la direction suivie par le ravisseur. Cette poursuite est très pénible et l’expédition peut se prolonger. Quand elle paraît dangereuse, on part en nombre. Une bande de voleurs de chevaux, conduite par un certain Murphy, parcourut l’État de Montana : les fermiers se liguèrent, la poursuivirent et l’acculèrent dans une île du Missouri : cinquante hommes furent pris et pendus sans forme de procès. Il faut lire dans le Texas cow-boy de Ch. Siringo le récit merveilleux d’une expédition dirigée à travers plusieurs États par des éleveurs contre un certain Billy-la-Chèvre, ancien bouvier devenu chef de bande, et qui enlevait, dans les prairies du Sud-Est, 700 ou 800 bœufs à la fois. Ce Billy finit par être arrêté, malgré la plus intrépide défense, et fut livré aux autorités du comté de Lincoln, mais ne laissa pas à ses adversaires le temps de le faire juger et s’enfuit en tuant deux de ses gardiens. On ne manqua pas de remarquer qu’un tel accident ne se serait pas produit si Billy-la-Chèvre avait été lynché. Hepworth Dixon raconte une autre expédition qui fut organisée à Denver contre un voleur de chevaux appelé Smith : cette fois, le voleur fut jugé sommairement, pendu de même, et la conscience publique n’eut plus à gémir. Il en est généralement ainsi.

D’ailleurs, il faut bien le confesser, les éleveurs, quelle que soit leur position dans l’État, ne sauraient être les seuls à perdre patience : la procédure ordinaire a, dans bien d’autres conjonctures, des lenteurs qu’une démocratie toute-puissante peut difficilement supporter. Il y a d’abord une instruction préparatoire dans laquelle les magistrats conservateurs de la paix publique (en général les constates et les juges de paix ou de police) interrogent l’inculpé contradictoirement avec le plaignant et le confrontent avec les témoins, puis une seconde instruction par le grand jury, lequel se réunit seulement sur la convocation du juge. Si la majorité requise n’a pu s’y former[1], rien n’empêche un autre grand jury convoqué plus tard de prononcer une mise en accusation contre le même délinquant pour le même délit. Puis, quand l’accusé comparaît devant le jury de jugement, comme la pratique n’admet point de jurés supplémentaires (sauf dans le Massachusetts), si l’un des titulaires se trouve empêché pendant les débats ou la délibération, toute la procédure est à recommencer. Il faut, en outre, avons-nous dit, que l’accord se fasse entre ces nouveaux jurés : à défaut d’unanimité, la cour les décharge et remet l’affaire à une autre session. Enfin, quand le verdict est rendu, trois modes de

  1. En général, il faut que l’accusation réunisse au moins douze voix. La constitution de l’Orégon n’exige que la majorité simple (5 sur 9.)