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On nous a d’abord appris qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’intimider les noirs et de calmer leur effervescence. Ces gens-là préfèrent, paraît-il, les blanches aux femmes de leur propre couleur : il n’est pas de piège qu’ils ne soient disposés à tendre, ni de violence qu’ils ne soient prêts à commettre pour assouvir leur passion. Autrefois, les nègres étaient soumis à des pénalités particulières. En Virginie, par exemple, on comptait soixante et onze natures différentes de crimes, qui, pour eux, entraînaient la peine de mort, tandis que, dans les mêmes circonstances, les blancs étaient condamnés à l’emprisonnement : dans l’État du Mississipi, trente-huit de ces offenses ou du moins la plupart d’entre elles ne motivaient l’application d’aucune peine contre les blancs ! Dans la Caroline du Sud, la Virginie et la Louisiane, l’homme de couleur non émancipé pouvait être privé de la vie sans intervention du jury d’accusation ni du jury de jugement[1]. Mais, après la guerre de rébellion, trois amendemens à la constitution de l’Union américaine conférèrent aux nègres, après les avoir affranchis, les mêmes droits civils et politiques qu’aux blancs, sans réserve. Il faut cependant défendre à tout prix la pudeur et l’honneur de la femme blanche contre de monstrueux attentats. L’indulgence des lois et la mollesse des juges sont une prime au viol. La perspective évidente et palpable d’une mort prompte, terrible, sans phrases, peut seule conjurer le péril[2].

Après et peut-être avant les attentats contre les blanches, il y a les vols de chevaux et de bœufs dans l’Ouest et dans le Sud-Est. Nous ne comprenons pas exactement, en France, quelles colères ce genre de déprédations excite chez les éleveurs et chez les ranchmen. « L’opinion publique est beaucoup plus sévère pour les vols de chevaux que pour les meurtres, » a dit Hepworth Dixon dans sa Nouvelle Amérique. Ces vols sont très fréquens : la surveillance des ranchs est devenue difficile et coûteuse ; il a fallu doubler ou même tripler le personnel des cow-boys. Il y a, par exemple, dans les prairies du Dakota, des herders ou gardeurs qui doivent compter tous les jours les 500 ou 600 jumens du troupeau. Quand une seule

  1. « Dans les États du Sud, écrivait M. Cartier en 1862, l’homme de couleur, libre, n’est guère mieux traité que l’esclave… Est-il accusé d’un crime ou d’un délit ? il n’a droit généralement à d’autres juridictions que celles créées pour l’esclave, et il est passible de peines analogues à celles édictées contre celui-ci, à quelques variations près. »
  2. « Lorsque quelque noir a été arrêté sous l’inculpation d’un crime qui soulève l’indignation des blancs, dit M. Gaulier dans ses Études américaines (Paris, Plon, 1891), ceux-ci se réunissent, se masquent le visage et se rendent à la prison. Là on somme le geôlier de délivrer le coupable, on le prend de gré ou de force, on le pend au premier arbre. Cette justice sommaire s’exécute surtout envers les nègres qui ont outragé la femme ou l’enfant d’un blanc : ce cas se présente constamment. »