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régulier ; le clergé séculier suffit. « On n’a jamais[1] contesté à la puissance publique le droit d’écarter ou de dissoudre des institutions arbitraires qui ne tiennent point à l’essence de la religion, et qui sont jugées suspectes ou incommodes à l’État. » En principe, toutes les communautés religieuses doivent être jugées telles ; car elles sont des corps spontanés, elles s’organisent d’elles-mêmes et sans le concours de l’État, par la libre volonté de leurs membres ; elles vivent à part, selon le statut propre et particulier qu’elles se donnent, hors de la société laïque, à côté de l’Église établie, sous des chefs distincts qu’elles se choisissent, parfois sous des chefs étrangers, toutes plus ou moins indépendantes, toutes, par intérêt et par instinct, ralliées autour du saint-siège, qui, contre l’autorité diocésaine et la juridiction épiscopale, leur sert d’abri. Jadis, « les moines[2] formaient la milice du pape ; ils ne reconnaissaient pas d’autre souverain que lui ; aussi étaient-ils plus à craindre pour les gouvernemens que le clergé séculier. Celui-ci, sans eux, n’aurait jamais embarrassé ; » désormais, il n’y aura plus que lui. « Je veux[3] des évêques, des curés, des vicaires, voilà tout… on souffre contre mes instructions, que des communautés religieuses se rétablissent ; — je suis informé qu’à Beauvais et dans d’autres villes, les jésuites ont formé des établissemens sous le nom de Pères de la foi ; il ne faut pas le permettre. » Et il l’interdit par décret[4] ; il dissout « toutes les associations formées sous prétexte de religion et non autorisées ; » il décide qu’à l’avenir « aucune agrégation ou association d’hommes ou de femmes ne pourra se former sous prétexte de religion, à moins d’une autorisation formelle ; » il charge les procureurs de ses tribunaux « de poursuivre, même par la voie extraordinaire, les personnes des deux sexes qui contreviendraient directement ou indirectement » à son décret. — Mais il s’est réservé la faculté d’autoriser les communautés dont il pourra

  1. Discours, rapports, etc., par Portalis, p. 40. — Émile Ollivier, Nouveau manuel de droit ecclésiastique, p. 193. (Réponse de Portalis aux réclamations du saint-siège, 22 septembre 1803.) Avant 1789, écrit Portalis, « les religieux n’offraient plus qu’un spectacle peu édifiant… Le législateur ayant décidé qu’on ne pourrait plus s’engager par des vœux religieux jusqu’à vingt et un ans,.. cette mesure écarte les novices ; les ordres religieux, minés par les mœurs et par le temps, ne pouvaient plus se recruter ; ils languissaient dans un état d’inertie et de défaveur qui était pire que l’anéantissement… Le siècle des institutions monastiques était passé. »
  2. Pelet de La Lozère, p. 166. (Paroles de Napoléon, 11 mars 1806.)
  3. Id., p. 207 (22 mai 1804).
  4. Décret du 3 messidor an XII (22 juin 1804). — Lettre de Napoléon au roi de Naples, 14 avril 1807, sur la suppression des couvens à Naples : « Vous savez que je n’aime pas les moines ; car je les ai détruits partout. » À sa sœur Elisa, 17 mai 1806 : « Allez votre train et supprimez les couvens. »