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insalubres, sur la responsabilité des patrons en cas d’accident, sur les caisses d’invalides du travail. Il paraîtrait même ne pas reculer devant la journée de huit heures si ce n’était la difficulté d’arriver à une réglementation internationale. Lui, le chef d’un ministère conservateur, du parti conservateur espagnol, il prend, si l’on nous passe le mot, la tête du mouvement dans son pays avec la généreuse ambition de populariser la monarchie par les plus libérales réformes, de ne laisser rien à faire aux républicains. Soit, les conservateurs se transforment partout aujourd’hui et répudient les traditions surannées. Si l’on s’en tenait toujours à ce qui est possible et réalisable, ce serait pour le mieux. Le danger, et il n’est pas seulement en Espagne, c’est sous prétexte d’aller au-devant de toutes les revendications des populations industrielles, de tuer l’industrie elle-même, de promettre plus qu’on ne pourra tenir, de se prêter à beaucoup d’illusions et de préparer des mécomptes contre lesquels ni les monarchies ni les républiques ne seraient peut-être de force à se défendre !

Les révolutions, les insurrections, les coups d’état n’ont rien de nouveau ni d’extraordinaire dans ces républiques du Nouveau-Monde, qui furent autrefois espagnoles. Depuis ces petites républiques de l’Amérique centrale, qui bataillent sans cesse entre elles, jusqu’à la république Argentine, encore mal remise de ses récentes convulsions, en passant par le Brésil, les révolutions sont un phénomène invariable ou périodique. Il y a eu pourtant une de ces républiques qui, soit par sa position sur l’Océan-Pacifique, soit par suite d’une organisation mieux entendue et de traditions plus fortes, est restée longtemps à l’abri des commotions et des révolutions ; c’est le Chili qui passait pour le modèle des républiques américaines. Le Chili a eu une longue paix intérieure, et il a eu aussi, par l’extension de son industrie et de son commerce, les avantages de cette paix. S’il a été engagé, il y a déjà quelques années, dans une guerre longue et acharnée avec ses voisins du Pérou et de la Bolivie, il en est sorti victorieux ; il y a gagné de la gloire et de vastes territoires, sans en être sérieusement atteint dans ses institutions, dans sa vie intérieure. Aujourd’hui tout est changé ! Depuis près de six mois le Chili est en pleine guerre civile. Comment en est-on venu à cette extrémité ? Le président de la république qui réside avec le gouvernement à Santiago, M. Balmaceda, a récemment publié et expédié en Europe un long message où il s’efforce d’exposer la situation du pays et d’expliquer, de débrouiller ces obscurs événemens. Ce qu’il y a de plus clair, c’est que depuis deux ou trois ans déjà, la lutte est engagée entre les coalitions parlementaires du congrès et le pouvoir exécutif, que les ministères se sont succédé, qu’on a refusé au président les ressources les plus nécessaires, que les antagonismes n’ont fait que s’envenimer et que le jour est venu où l’explosion s’est produite. L’orage a éclaté là où on ne l’attendait