Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’avancer M. le cardinal Lavigerie, à la tête de ses moines blancs, pour donner l’assaut à la république, sous prétexte de la reconnaître ! Heureusement, il faisait bonne garde, et, — pour la défense commune contre les conservateurs, — il ne serait plus éloigné de s’allier avec les radicaux, qu’il flatte et qu’il caresse aujourd’hui : il les trouve même pleins de sagesse ! Les radicaux, à la vérité, n’ont pas l’air d’être sensibles à ses flatteries, de se prêter de bonne grâce à l’alliance, et au moment même où l’ancien président du conseil les complimentait de leur modération, ils étaient occupés à demander une fois de plus à la commission du budget la suppression de la dotation des cultes. Qu’à cela ne tienne ! M. Jules Ferry ne reste pas moins leur ami, et c’est avec eux qu’il se charge de veiller sur la « charte républicaine, » sur la loi scolaire, — de défendre les portes de la république contre les intrus suspects. On dirait vraiment que M. Jules Ferry a le monopole de la république, qu’il faut attendre son bon plaisir pour entrer dans les institutions du pays. Il est, comme toujours, la dupe de sa suffisance. On n’a rien à lui demander, on n’attend rien de lui : c’est le pays qui a les clés de toutes les portes, c’est le pays qui décidera si, à une politique de parti exclusive, irritante et brouillonne, il ne préfère pas la paix morale et religieuse, une politique éclairée qui, au lieu de violenter les sentimens et les croyances, s’occupe de ses intérêts les plus sérieux, de sa sécurité et de sa fortune.

Aussi bien est-ce à la fois irritant et oiseux de se traîner dans ces guerres de fanatisme vulgaire dont l’opinion se lasse. C’est certainement le plus faux et le plus stérile des calculs de s’acharner à une politique de parti, d’exclusion et de division, au moment où vont s’agiter, où s’agitent déjà, dans notre parlement et au dehors, et un peu partout, tant de questions auxquelles se doivent toutes les bonnes volontés, tous les esprits sincères, qui mettent au-dessus de tout les intérêts du pays. Ces questions, elles ne manquent pas aujourd’hui ; elles sont devant nous. Comment va se passer cette journée du 1er mai où des passions de toute sorte se donnent rendez-vous, qui devient décidément une date cabalistique ? Ce serait une puérilité de chercher à prévoir ce qui ne sera plus, dans quelques heures, que le passé. D’après toutes les apparences, il n’en sera vraisemblablement ni plus ni moins, à Paris, cette année que l’année dernière, — d’autant plus que si les organisateurs de la journée ont leurs programmes, M. le ministre de l’intérieur paraît aussi avoir le sien, qui se réduit à maintenir quand même l’ordre public. Tout se passera, encore une fois, sans accident, c’est à présumer : soit. Il n’y a pas moins un étrange et grave intérêt dans ces manifestations qui embrassent l’Europe entière et même le Nouveau-Monde, qui à jour fixe mettent sur pied d’innombrables populations ouvrières dans tous les pays et ont pour sanction la perspective