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là le trophée immortel qu’il élevait à sa gloire… Il attendait avec impatience la naissance de son second fils pour le mener à Rome, le couronner roi d’Italie, et proclamer l’indépendance de la belle péninsule, sous la régence du prince Eugène. » Depuis Théodoric et les rois lombards, c’est le pape qui, pour conserver sa souveraineté temporelle et son omnipotence spirituelle, a maintenu le morcellement de l’Italie ; une fois l’obstacle ôté, l’Italie redeviendra une nation ; Napoléon la prépare et la constitue d’avance, en ramenant le pape à sa condition primitive et normale, en lui retirant sa souveraineté temporelle et limitant son omnipotence spirituelle, en le réduisant à n’être plus que le directeur dirigé des consciences catholiques et le ministre en chef du principal culte autorisé dans l’empire.


V

Dans cette entreprise, il se servira du clergé français pour maîtriser le pape, comme il s’est servi du pape pour maîtriser le clergé français. A cet effet, avant de conclure le Concordat et de décréter les Articles organiques, il s’est composé une petite bibliothèque de droit ecclésiastique ; on lui a traduit les œuvres latines de Bossuet ; il s’est fait exposer la doctrine gallicane et parlementaire ; avec une pénétration et une célérité merveilleuses, il est allé d’abord jusqu’au fond du sujet ; puis, ayant refondu et pétri les théories à sa façon et à son usage, il s’est formé une conception originale, personnelle, cohérente, précise et pratique, une conception d’ensemble qu’il applique à toutes les églises, catholique, luthérienne, calviniste et même juive, à toutes les communautés religieuses, présentes et futures. Sa pensée maîtresse est celle des légistes romains et de l’antique jurisprudence impériale ; en ceci, comme dans le reste, le César moderne, par-delà ses prédécesseurs chrétiens, remonte jusqu’à Constantin et au-delà, jusqu’à Trajan et Auguste[1]. Tant qu’une croyance reste muette et

  1. Cf. les lois romaines sur les Collegia illicita ; leur source première est la conception romaine de la religion, l’emploi politique et pratique des augures, des auspices, des poulets sacrés. — Il est curieux de suivre la longue vie et survie de cette idée capitale depuis l’antiquité jusqu’aujourd’hui ; elle reparaît dans le Concordat et dans les articles organiques de 1801, plus tard encore, dans les décrets récens qui ont dissous les communautés non autorisées et fermé les couvens d’hommes. — Les légistes français et, en particulier, les légistes de Napoléon sont profondément imbus de l’idée romaine. Portalis, dans son exposé des motifs pour l’établissement des séminaires métropolitains (14 mars 1804), appuie le décret sur le droit romain. « Les lois romaines, dit-il, plaçaient tout ce qui regarde le culte dans la classe des choses qui appartiennent essentiellement au droit public. »