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de forme turque, comme celui de Toktamich. Ce Toktamich était sans doute un Tatar, un Nogaï converti, ou plutôt, car l’inscription est antérieure à l’invasion des Mongols, c’était un Khazar, en tout cas, un Finno-Turc, un Touranien. « Est-ce qu’un juif d’origine palestinienne, demande M. Renan, se serait jamais appelé Toktamich, au lieu de s’appeler Abraham, Lévy ou Jacob ? » Ces Karaïm de Crimée semblent plutôt les prosélytes que les descendans des Karaïm de Babylone. Ces juifs n’ont peut-être aucune goutte de sang hébreu dans les veines, de même que beaucoup de Tatars du voisinage n’ont, ethnologiquement, presque rien de tatar, n’étant souvent que les rejetons des anciens Goths ou des anciens Grecs, convertis tardivement à l’Islam, sous la domination des khans de Crimée[1]. Du juif karaïte qui croit descendre de Jacob, et du soi-disant Tatar qui s’enorgueillit de son origine turque, le moins turc ou tatar peut être le musulman.

Ces Karaïm de Crimée ne sont probablement pas les seuls sujets du tsar qui soient juifs de religion, sans être juifs de race. On suppose qu’ils proviennent des anciens Khazars, ce peuple scythique converti au judaïsme. Les trois ou quatre mille Karaïm de la Tauride sont-ils les seuls descendans du vieux peuple finno-turc ? N’est-il pas probable que, parmi les quatre millions de juifs russes, il y en a des milliers qui se rattachent, eux aussi, aux Khazars de la steppe ? L’étude des types israélites en Pologne et en Petite-Russie porte à le croire. Il semble qu’il y ait souvent chez eux un alliage finno-turc. Un jour, à Varsovie, — peut-être la plus grande communauté juive du monde, —je visitais, en compagnie d’un savant polonais de mes amis, les écoles professionnelles israélites. On me fit remarquer que, parmi les enfans juifs, on pouvait distinguer trois ou quatre types différens : un d’abord, le plus connu de nous, que mon guide appelait le type proprement juif ou sémitique ; — un second qu’il rattachait aux Khazars ou aux Touraniens, et dont le principal trait était un nez court, parfois retroussé, avec des pommettes saillantes ; — un troisième, au front bas, aux lèvres épaisses, au teint noir, qui lui paraissait avoir quelque chose d’africain ; — un quatrième enfin, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, qui semblait plutôt aryen ou germanique. Le fait est que les juifs de l’empire russe présentent des différences de traits et de types qu’on ne peut guère expliquer que par des différences d’origine. On pourrait faire des observations analogues à Jérusalem, à Berlin, à Vienne, à Londres, à Paris même, partout où se rencontrent des israélites de divers pays.

Ces modifications du type juif, faut-il les attribuer uniquement

  1. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, t. I, liv. II, ch. III.