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israélites. La fièvre m’empêcha de la visiter. Il est probable que ces juifs montagnards sont apparentés aux populations indigènes du Caucase[1].

En Occident, nous ne connaissons rien d’analogue à la conversion en masse des Khazars. Nous rencontrons, dès l’époque des Mérovingiens, de nombreux juifs en Gaule et en Espagne. Les israélites de Grégoire de Tours étaient-ils bien tous des juifs de race, qui avaient pénétré en Gaule par le Rhône et la Saône ? ou beaucoup étaient-ils simplement des Gaulois convertis au judaïsme ? M. Renan et plusieurs savans avec lui opinent pour cette dernière origine[2]. Ce n’est là, malheureusement, qu’une hypothèse invérifiable, — sur ce point, les données positives nous font défaut, — ce qui est d’autant plus à regretter que les juiveries d’Allemagne et d’Angleterre sortaient de celles de France.

Quand ils eussent été du sang d’Israël, les juifs des Gaules et d’Espagne n’en ont pas moins, par divers canaux, reçu, à diverses époques, un afflux de sang indigène. Le mélange du sang juif et du sang chrétien qui, après les croisades, ne s’est guère fait qu’au profit des chrétiens, par la conversion des juifs, s’est opéré souvent encore au profit des juifs, durant la première moitié du moyen âge. Il y avait alors, pour passer de l’église à la synagogue, deux portes que l’Église a eu peine à fermer : l’esclavage et le mariage. Pour l’esclavage aucun doute ; le commerce des esclaves était fort lucratif ; les juifs, en bons trafiquans, s’en sont beaucoup occupés, et, pour mettre d’accord leur piété avec leurs intérêts, ils ont souvent circoncis leur marchandise humaine. On en a la preuve par les décrets des conciles et les actes des papes et des évêques. Un des soucis de l’épiscopat, en pays slaves notamment, souci fort légitime, du reste, était la protection spirituelle des esclaves détenus par les juifs. On interdit à leurs maîtres de les convertir au judaïsme. On finit par défendre aux juifs de circoncire les esclaves païens, et de posséder des esclaves chrétiens. C’est à cette même préoccupation que remonte la défense faite aux juifs d’avoir des servantes ou des serviteurs chrétiens. Cette prohibition, en usage dans les deux Églises, était naguère encore inscrite dans

  1. Il en est ainsi, croyons-nous, des juifs du Daghestan, appelés en turc Dagh-Tchoufout (juifs de la montagne), venus autrefois de Perse et lisant encore le Talmud en persan ; ils se sont, en grande partie, tatarisés.
  2. E. Renan, ibidem. Chose à noter, le savant qui s’est appliqué à ruiner l’ancienne conception du judaïsme envisagé comme une race fermée, est celui qui avait le plus contribué à répandre chez nous la théorie des races, celui même qui semblait fonder toute l’histoire religieuse sur l’antagonisme de l’Aryen et du Sémite. Il y a là un rare exemple de probité scientifique.