Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les neuf béatitudes ont été révélées au monde antique. Ici encore, dans sa race et ses ancêtres, aussi bien que dans sa Bible, on ne peut atteindre Israël qu’à travers le Christ. Il est singulier que des chrétiens aient besoin qu’on les en fasse souvenir : la croix du renoncement nous a été apportée sur des épaules juives, cette croix qui fit le scandale de l’Hellène et que, durant trois ou quatre siècles, les fidèles n’osèrent montrer aux adorateurs des dieux de Paros que voilée d’emblèmes mystérieux. Le sang versé sur le Calvaire pour la rédemption des hommes, le sang que nos vieux peintres nous montrent recueilli par des anges en des calices ou des patènes d’or, était du sang juif, du sang sémitique. Ni Marie, mère de Jésus, ni Jean, le disciple bien-aimé, ni Simon, dit Céphas, ni aucun des douze, n’étaient de souche aryenne.

Pour qui veut remonter aux origines, — pour qui surtout croit que l’Église a été constituée et ordonnée, dès le début, par les apôtres, — le christianisme lui-même est un produit du sémitisme ; il ne l’est guère moins que le judaïsme. On nous entretient souvent de la conquête sémitique ; si le monde a jamais été conquis par les Sémites, c’est par le glaive de Paul de Tarse, l’Annibal ou l’Alexandre chrétien. La bataille de Cannes n’a pas été la plus grande victoire du Sémite. Là où avait échoué le fils d’Amilcar a triomphé le petit juif de Cilicie. Par lui, et par les douze, se sont réalisées les orgueilleuses promesses des voyans d’Israël et, grec ou romain, le monde aryen a été courbé sous le sceptre du fils de David. L’empire élevé par les légions romaines a été légué aux successeurs du pêcheur de Galilée. Les statues des Césars ont été renversées de leur piédestal, et les imperatores qui personnifiaient le mieux les armes latines et la sagesse hellénique, les Trajan et les Marc-Aurèle, ont été précipités de leurs colonnes de marbre pour faire place à Pierre et à Paul, les capitaines de Jésus de Nazareth. La louve de Romulus, victorieuse des éléphans du Carthaginois, a été terrassée par le lion de Juda : vicit leo de tribu Juda, est-il gravé sur la base de l’obélisque dressé par Sixte-Quint. L’Église a raison : le Nazaréen a vaincu.

Voilà la vraie conquête sémitique, et le génie aryen ne s’en est pas relevé. Entre les antisémites, — les plus conséquens, les seuls logiques peut-être, sont ceux qui, pour secouer le joug sémitique, repoussent l’Évangile aussi bien que la Bible, s’insurgeant également contre la crèche de Bethléem et contre les tables du Sinaï[1].

  1. À ce titre, je dois mentionner ici deux livres peu connus, dont le premier grief contre le « sémitisme » est d’avoir donné naissance au christianisme. L’un, publié vers la fin de l’empire, est le Molochisme juif de Tridon, depuis membre de la Commune de 1871 ; l’autre, daté de 1890 (Dentu), est intitulé : Aryens et Sémites : le Bilan du judaïsme et du christianisme, par A. Rognard, t. Ier, le seul qui ait paru.