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mais j’en suis l’empereur, » le suzerain légitime. Pourvu « de fiefs et comtés » par ce suzerain, le pape lui doit en retour la fidélité politique et l’assistance militaire ; s’il y manque, la donation, qui est conditionnelle, devient caduque, et ses états confisqués rentrent dans le domaine impérial, auquel ils n’ont jamais cessé d’appartenir[1]. Par ce raisonnement et cette menace, par la pression morale et physique la plus rude et la plus habile, la plus pénétrante et la plus continue, par la spoliation commencée, poursuivie et achevée, par l’enlèvement, la captivité et la séquestration du saint-père lui-même, il entreprend de s’assujettir la puissance spirituelle : non-seulement le pape sera dans l’empire un particulier comme un autre[2], soumis par sa résidence à la loi du territoire, par suite au gouvernement et à la gendarmerie, mais encore il entrera dans les cadres administratifs, il n’aura plus le droit de refuser l’institution canonique aux évêques nommés par l’empereur[3], « il prêtera, lors de son exaltation, le serment de ne jamais rien faire contre les quatre propositions de l’église gallicane[4], » il deviendra un grand fonctionnaire, une sorte d’archi-chancelier comme Cambacérès et Lebrun, l’archi-chancelier du culte catholique. — Sans doute il résiste et s’obstine, mais il n’est pas immortel, et, s’il ne cède pas, son successeur codera : il suffira de le choisir maniable, et, à cet effet, de travailler le prochain conclave. « Avec mon influence et nos forces en Italie, dira Napoléon[5], je ne désespérais pas, tôt ou tard, par un moyen ou par un autre, de finir par avoir à moi la direction du pape, et, dès lors, quelle influence, quel levier d’opinion sur le reste du monde ! » Si j’étais revenu de Moscou victorieux, « j’allais relever le pape outre mesure, l’entourer de pompe et d’hommages ; je l’eusse amené à ne plus regretter son temporel ; j’en aurais fait une idole ; il fût demeuré près de moi, Paris fût devenu la capitale du monde chrétien, et j’aurais dirigé le monde religieux ainsi que le monde politique… J’aurais eu mes sessions religieuses, comme mes

  1. Décret du 17 mai 1809. « Considérant que, lorsque Charlemagne, empereur des Français et notre auguste prédécesseur, fit donation de plusieurs comtés aux évêques de Rome, il ne les donna qu’à titre de fiefs et pour le bien de ses états, et que par cette donation Rome ne cessa pas de faire partie de son empire,.. les états du pape sont réunis à l’empire français. »
  2. Sénatus-consulte du 17 février 1810, titre II, article XII. — « Toute souveraineté étrangère est incompatible avec l’exercice de toute autorité spirituelle dans l’intérieur de l’empire. »
  3. D’Haussonville, 'ibid., IV, 306. (Décret du concile national, 5 août 1811. — Concordat de Fontainebleau, 25 janvier 1813, article 14. — Décret sur l’exécution de ce concordat, 23 mars 1813, article 4.)
  4. Sénatus-consulte du 17 février 1810, articles 13 et 14.
  5. Mémorial, 17 août 1816.