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leurs sièges, leur refus les discrédite ; ils sont « signalés[1] comme des rebelles qui préfèrent les affaires du monde et les intérêts terrestres aux affaires du ciel et à la cause de Dieu ; » le gros de leur clergé, tout leur troupeau les abandonne ; au bout de quelque temps, on les oublie ; ce sont de vieilles souches déplantées et dont on a tranché les racines ; ils meurent un à un, à l’étranger, et leur successeur, présent, en fonctions, n’a pas de peine à rallier autour de lui les obéissances. Car, étant catholiques, ses ouailles sont moutonnières, c’est-à-dire dociles, attachées aux dehors sensibles, prêtes à suivre la houlette pastorale, pourvu qu’elle porte l’ancienne marque de fabrique, qu’elle soit du même bois, de la même forme, de même provenance, conférée d’en haut, expédiée de Rome. Une fois les évêques institués par le pape, personne, sauf Grégoire ou quelque canoniste antiquaire, ne leur contestera leur juridiction. Voilà donc, par l’entremise du pape, le terrain ecclésiastique déblayé. Les trois groupes d’autorités qui s’y disputaient les consciences[2], évêques réfugiés en Angleterre, vicaires apostoliques, clergé constitutionnel, disparaissent ; sur cette place vide, on peut bâtir. « On déclare[3] que, la religion catholique étant celle de la majorité des Français, on doit en organiser l’exercice. Le Premier Consul nomme cinquante évêques, le pape les institue. Ils nomment les curés, l’État les salarie. Ils prêtent serment ; on déporte les prêtres qui ne se soumettent pas. On défère aux supérieurs, pour les punir, ceux qui prêchent contre le gouvernement. Le pape confirme la vente des biens du clergé ; il sacre la république. » Les fidèles ne la voient plus de mauvais œil ; ils se sentent, non-seulement tolérés, mais encore protégés par elle, et ils lui en savent gré[4]. Le peuple retrouve ses églises, ses curés, le culte auquel il tient par habitude et presque par instinct, les cérémonies qui, dans son imagination, font corps avec tous les grands actes de sa vie, rites solennels du mariage, du baptême, de la sépulture, offices et sacremens. Désormais, dans chaque village, chaque dimanche on dit la messe, et les paysans ont une procession à la Fête-Dieu pour bénir leurs récoltes. Un grand besoin

  1. Notes sur les Quatre concordats de M. de Pradt. (Correspondance, XXX, 638.)
  2. Comte Boulay de La Meurthe, Négociations du Concordat. (Extrait du Correspondant, 1882, sur l’état religieux de la France en novembre 1800 et notamment sur l’état de l’église constitutionnelle, celle-ci très misérable, désunie, sans crédit et sans avenir.) L’auteur estime à 8,000 le nombre des prêtres en fonctions, dont 2,000 constitutionnels et 6,000 catholiques orthodoxes (p. 24).
  3. Thibaudeau, p. 152.
  4. Thibaudeau, p. 154 (paroles du Premier Consul) : « Ce qui fait aimer le gouvernement, c’est son respect pour le culte… Il faut rattacher les prêtres à la république. »