Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais ce dont il faudrait se plaindre surtout, c’est la mauvaise qualité et la mauvaise préparation de tous les mets, et l’impossibilité où l’on est de bien manger à Berlin, lors même qu’on est accoutumé à la monotonie de la cuisine allemande. Cette impossibilité est si manifeste, que les Berlinois eux-mêmes sont enchantés de toute occasion d’aller à Brème, à Hambourg ou à Dresde, sachant bien que là seulement ils pourront manger à leur goût. En toute circonstance, d’ailleurs, les Berlinois sont prêts à reconnaître que ce qu’on vend à Berlin est de qualité inférieure ; et la bonne humeur avec laquelle ils en font l’aveu affirme une fois de plus leur inconscient sentiment de n’être ici qu’en passant. Ils s’accommodent de ce qu’on leur donne à Berlin comme nous nous résignons à la méchante cuisine des buffets de nos gares pendant un voyage.

Le garçon chargé de me servir, rencontrant un autre garçon, l’appelle Herr College, monsieur mon collègue. Les garçons portent toujours l’habit, et c’est sur ce ton qu’ils se parlent entre eux ; mais on dit que souvent ils se battent à propos d’un pourboire, et que les gérans ont fort à faire pour les tenir en paix.

Les Allemands ont à leur usage quelques mots d’un charme ingénu, dont nous ne possédons pas en France les équivalens, non plus que des états particuliers de sentiment qu’ils traduisent : tels le gemüth et ce poétique sehnsucht, ce vague désir de quelque chose dont on n’a point l’idée. Mais il y a aussi beaucoup de mots qu’ils nous ont pris, un peu au hasard, sans paraître se demander s’ils en trouveraient l’emploi : on sait, par exemple, que du mot délicatesse ils ont fait le synonyme de charcuterie, et qu’ils ont désigné par galanterie la mercerie au détail. N’auraient-ils pas mis la même inexpérience dans le choix de nos coutumes parisiennes ? A l’entrée de l’Opéra, ce soir, je suis accosté par une bande d’individus dépenaillés qui m’offrent des places moins cher qu’au bureau, mais avec une insistance et une brutalité absolument locales. Ces individus assiègent, depuis le matin, les abords des théâtres : ils s’accrochent de force aux passans, et c’est une grosse affaire de les congédier.

Les théâtres, suivant la vieille coutume allemande, commencent leurs représentations plus tôt que chez nous. D’année en année, pourtant, ils retardent l’heure du lever du rideau. Ce n’est plus que dans les petites villes, à Mannheim, à Darmstadt, à