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effet, si universel, que les rares magasins où se vendent des objets d’or et de diamant authentiques ne manquent jamais à inscrire sur leurs vitrines en lettres énormes : Echtl echt ! (Vrai ! vrai ! ) Encore cet avis est-il souvent sujet à caution.

Me voici arrivé au fameux boulevard de Berlin, l’Avenue des Tilleuls. Les tilleuls eux-mêmes sont en faux, car il n’y a que des marronniers dans cette longue avenue.

Fort peu de fiacres : c’est, du reste, dans ces quartiers élégans que l’on rencontre tout ce qu’il y en a à Berlin. J’ai erré des après-midi entières dans les quartiers du nord et de l’est sans presque en voir passer un seul. Le Berlinois a beau être pressé, il a beau être riche, la dépense d’un fiacre lui paraît pure folie. C’est à ce sens tout à fait particulier de la petite économie qu’il faut attribuer, en regard de la rareté des fiacres, l’énorme quantité des tramways, omnibus et autre genre de voitures publiques. Tandis que le nombre des fiacres ne dépasse pas 4,000 (la plupart affectés au service des gares), la grande Compagnie des tramways encaisse tous les jours une moyenne de 20,000 marks, avec un taux moyen de 15 plennigs par personne ; et il y a en outre deux autres compagnies de tramways, une cinquantaine de lignes d’omnibus, sans compter le métropolitain. Les amans se donnent rendez-vous dans le tramway, les hommes d’affaires y discutent leurs contrats. Le sens de l’économie règne en maître absolu, ne trouvant en face de lui pour le gêner aucun besoin de chez soi ni d’intimité.

Il est midi et demi, c’est l’heure où les Tilleuls et les rues environnantes sont le plus encombrés. Bientôt va passer la garde qui relève les postes de la ville : elle va passer musique en tête, suivie d’une foule bruyante de gamins et de badauds. Ce sera le signal de l’ouverture des restaurans. Chacun ira dîner, et, d’une heure à quatre heures, les rues seront désertes. Berlin mangera, boira et fera la sieste.

La démarche des passans est lourde, maladroite. Personne ne sait se déranger à temps pour éviter les chocs. La largeur des trottoirs n’empêche pas qu’on ne puisse avancer sans être bousculé.

Tous les hommes sont en redingote, tous, y compris les petits employés, les ouvriers, les camelots, les balayeurs des rues. Le veston est ici un vêtement de luxe, réservé à qui veut avoir l’air d’un officier en civil.

Le souci de la tenue, c’est-à-dire d’une attitude raide et sanglée, est plus universel à Berlin, que nulle autre part en Allemagne. Mais, chose encore bien typique, tandis que l’homme a pour idéal la tenue, l’idéal de la femme paraît être plutôt le laisser-aller. Les femmes berlinoises continuent à ne s’inquiéter guère de