Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cigares, le côté gauche par une destination, l’équivalent de nos débits de vin parisiens. Je ne sais pas à quel étage demeure l’avocat, mais je suis sûr qu’il y a un avocat dans la maison, car c’est une vérité courante et proverbiale qu’à Berlin toute maison a son médecin, son avocat, sa brasserie ou sa destination.

Voici la Friedrichstrasse, la rue la plus fréquentée de Berlin, une rue si longue et si droite qu’elle faisait comprendre à Heine la notion de l’infini. Le mauvais goût apparaît toujours dans les étalages des boutiques ; mais un progrès considérable s’est réalisé, sous ce rapport, depuis les dernières années. Les Berlinois commencent à avoir une certaine habitude de disposer les objets derrière une vitrine. Ils paraissent seulement avoir acquis en même temps un désir immodéré de tout exhiber au dehors : les vitrines descendent jusqu’au sous-sol, trouant le trottoir ; les objets y restent en montre jusqu’à ce qu’on les achète, sans que jamais on s’avise de les épousseter ou de les retirer pour la nuit. Et à l’intérieur des boutiques, rien, à peine quelques tiroirs enfumés.

Comme dans le reste de l’Allemagne, les boucheries et les boulangeries sont de mesquines échoppes. Les magasins de cigares, en revanche, déploient un luxe de décoration fantastique. Leur nombre, en 1886, atteignait vingt mille. Il n’en est guère où ce ne soit une tradition admise de tromper les étrangers sur le prix des cigares. Les apologistes de Berlin reconnaissent la chose, et j’en sais qui y admirent un joli trait de malice.

A chaque pas éclatent de nouvelles preuves d’un goût forcené pour l’uniformité. Ainsi, Berlin a vu surgir depuis quelque temps une quantité innombrable de bazars où tous les objets sont vendus le même prix. Il y a trois catégories, chacune comprenant les objets les plus divers, vêtemens, romans français, ustensiles de cuisine, etc. : la catégorie des objets à 3 marks, celle des objets à 1 mark et celle des objets à 50 pfennigs. C’est, on le voit, une extension du principe de la boutique à treize sous, mais une extension qui menace bientôt d’envahir tout le commerce berlinois. Les objets vendus dans ces bazars sont naturellement de qualité médiocre ; il est convenu, d’ailleurs, que tout ce que l’on vend à Berlin est de qualité médiocre. La qualité n’a pas d’importance, ni la durée, la mode étant ici de changer de mode le plus souvent possible. Seuls importent le bon marché et ce chic (schick) indéfinissable qui constitue l’idéal de la perfection aux yeux de tout habitant de Berlin.

« Notre ville, dit le Berliner Tagblatt, fait aussi de grosses affaires dans la production des diamans, mais elle ne produit que des diamans en faux. » L’usage de faux or et de faux diamans est, en