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ne vois que des nuages, des obscurités, des difficultés : le gouvernement civil condamne à mort un criminel ; le prêtre lui donne l’absolution et lui promet le paradis : » à propos du même acte et sur le même individu, les deux pouvoirs, l’un par la guillotine, l’autre par le pardon, opèrent publiquement en sens inverses. Puisque les deux autorités peuvent se heurter, prévenons leurs conflits, ne laissons pas leur frontière incertaine, traçons-la d’avance, faisons-nous notre part nous-mêmes et ne souffrons pas que l’Église empiète sur l’État : au fond, elle veut tout avoir ; ce qu’elle nous concède est l’accessoire et ce qu’elle s’adjuge est le principal. « Voyez[1] l’insolence dos prêtres, qui, dans le partage de l’autorité avec ce qu’ils appellent le pouvoir temporel, se réservent l’action sur l’intelligence, sur la partie noble de l’homme, et prétendent me réduire à n’avoir d’action que sur les corps. Ils gardent l’âme et me jettent le cadavre. » Les choses allaient mieux dans l’antiquité et vont mieux dans les pays musulmans : « Dans la république romaine[2], les sénateurs étaient les interprètes du ciel, et c’était le principal ressort de la puissance et de la solidité de ce gouvernement ; dans la Turquie et dans tout l’Orient, l’Alcoran est en même temps loi civile et évangile religieux. Ce n’est que dans le christianisme que le pontificat s’est trouvé ainsi séparé du gouvernement civil. » Et cela même n’est arrivé que dans une branche du christianisme ; sauf dans les pays catholiques, partout, « en Angleterre[3], en Russie, dans les monarchies du nord, dans une partie de l’Allemagne, la réunion légale des deux pouvoirs, la « direction religieuse aux mains du souverain » est un fait accompli. « On ne saurait gouverner sans elle ; autrement, une nation est à chaque instant blessée dans son repos, dans sa dignité, dans son indépendance. » C’est dommage « qu’on[4] ne puisse trancher la difficulté, comme Henri VIII » d’Angleterre ; le chef du gouvernement français deviendrait alors, par statut législatif, le chef suprême de l’Église française. Par malheur, la France y répugne ; à plusieurs reprises, Napoléon l’a tâtée, mais il s’est convaincu qu’en ceci « il n’aurait jamais eu la coopération nationale ; » une fois embarqué, a engagé à fond dans l’entreprise, la nation l’eût abandonné. » Faute de cette voie, il en prend une autre, qui conduit au même but. Ce but, dira-t-il lui-même, « a été longtemps et toujours l’objet de ses méditations et de ses vœux… »… « Il[5]

  1. Pelet de La Lozère, p. 201.
  2. Ibid., p. 206 (11 février 1804).
  3. Mémorial, V, 323 (17 août 1816).
  4. Pelet de La Lozère, p. 201.
  5. Mémorial, V, 353 (17 août 1816.) Notes sur les Quatre concordats, par M. de Pradt. (Correspondance de Napoléon Ier, XXX, p. 557.)