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pompes à incendie, l’éclairage électrique, autant de points où aucune capitale d’Europe, pas même Londres, ne peut rivaliser avec Berlin. Mon ami prenait plaisir à me le répéter. Il me décrivait l’organisation des hôpitaux et de l’assistance publique, l’organisation des postes et télégraphes, l’organisation des musées, des bibliothèques, l’organisation des divers services administratifs, vingt autres organisations excellentes. Il me révélait ainsi un Berlin dont, peut-être, je n’eusse point sans lui apprécié toute la grandeur : un résumé des progrès municipaux du siècle, un mécanisme modèle avec des rouages extérieurs incessamment renouvelés.

Souvent, après m’avoir énuméré ses découvertes, il voulait bien me demander de lui communiquer à mon tour les résultats de mes observations. Mais souvent aussi mes observations m’avaient conduit à des résultats si différens de ceux où l’avaient amené les siennes, que j’hésitais à lui en faire l’aveu. Tandis qu’il étudiait les chemins de fer, les tramways et les télégraphes, les rouages extérieurs de la machine, je m’appliquais à en connaître le foyer et les ressorts intimes. Je le lui dis un jour, et me hasardai en même temps à lui indiquer quelques-unes des conclusions que j’avais tirées des premières semaines de mon séjour en Allemagne. À peine s’il put m’entendre. Il me déclara que c’étaient là de vaines hypothèses, que tous les hommes avaient au fond le même caractère, ou encore que chacun en avait un qui n’appartenait qu’à lui, et qu’enfin il était déraisonnable de penser qu’une nation pût ne point gagner à se mettre au niveau des autres nations.

Mon ami est parti hier, son enquête finie. J’imagine qu’il ne tardera pas à en publier les résultats, ou que, à son défaut, quelqu’un se trouvera bientôt pour faire connaître aux lecteurs français l’ensemble des perfectionnemens pratiques inaugurés ici. Je sens trop que mes petites observations sur les mœurs berlinoises n’auront de valeur que si elles sont complétées par des observations compétentes sur un des principaux aspects de Berlin, l’excellence des institutions publiques et privées.

Il n’est pas douteux, en effet, que Français, Anglais, Russes, Américains, ont raison de venir, comme ils font, à Berlin pour y assister à la réalisation des derniers progrès de la science, de l’industrie et de la discipline. Je ne connais pas Baltimore, Chicago, ni aucune de ces étranges cités improvisées récemment aux États-Unis et en Australie : mais je doute que là même une découverte soit plus rapidement appliquée, ou que des institutions nouvelles y soient moins gênées par d’anciens usages. Du jour au lendemain, Berlin se transforme. Les rues étroites et boueuses sont remplacées par de larges avenues, les pâtés de maisons par de vastes palais éclairés à l’électricité, les cloaques et les marécages par de