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Rien, dans l’admirable histoire littéraire de la Grèce, n’est plus admirable que l’harmonieux épanouissement de l’art dramatique. À travers toutes les lacunes, à travers la pénombre des commencemens, on voit encore comment des germes divers, recelés dans le culte de Dionysos, se dégagea le double courant qui devait aboutir, d’une part, à la tragédie, de l’autre, à la comédie. Le cadre se constitue peu à peu ; il se complète par des additions nécessaires, au fur et à mesure que l’idée qui en est l’âme se précise et prend conscience d’elle-même. Nulle part l’harmonie n’apparaît plus merveilleuse entre le fond et la forme. La vie intérieure étend, sans jamais le briser, le corps qu’elle anime. Ce qui, en Grèce, est un organisme vivant, n’est guère, dans l’Inde, qu’un procédé arbitraire.

Les modernes ont été à l’école des Grecs ; les moules qu’ils leur ont pris, ils les ont plus ou moins respectés ; ils y ont au moins jeté des sentimens nouveaux, une inspiration rajeunie. Curiosité morale et psychologique, ou libre expansion d’un sens exubérant de l’activité individuelle, ils ont, dans la vieille ordonnance, fait circuler un souffle tout nouveau. Ce qui, chez les modernes, fait, sous des formes diverses, l’intérêt suprême du drame, le jeu libre des passions et des caractères, n’est, chez les Hindous, qu’un prétexte à menues descriptions, à variations plus ou moins adroites sur un thème fixé d’avance. Les Hindous manquent et de l’énergie agissante qui crée les fortes individualités et de cette observation logique et soutenue qui reconstitue les sentimens humains.

Chez eux, le théâtre n’a guère de vie propre. Qu’ils aient inventé la forme ou qu’ils l’aient rencontrée sur leur chemin, ils n’y ont point reconnu le moyen d’aborder des émotions et des peintures refusés à d’autres genres. Le drame n’a guère été pour eux qu’une occasion de multiplier, en les entourant des séductions de la musique et de la danse, de la mise en scène et des costumes, les répliques des mêmes procédés littéraires où ils s’exerçaient dans d’autres cadres.

M. Lévi n’est-il pas un peu optimiste ? À l’en croire, il faudrait dériver des qualités délicates propres à un public aristocratique et choisi, tous les traits qui distinguent le théâtre indien. Pour ces fins lettrés, d’esprit alerte, sachant comprendre à demi-mot, le poète devait, avant tout, se montrer recherché, ingénieux et rare. Ennemis de toute vulgarité, de pareils auditeurs lui demandaient de les transporter dans le domaine idéal de la légende, de répudier toutes les peintures troublantes ou grossières. Point d’action ; pour ces délicats, il convient d’obtenir le maximum de jouissances littéraires par de savans procédés, en s’embarrassant le moins possible d’une intrigue absorbante. Plus la fable sera connue