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tiques devaient être constituées. C’est justement entre le Ier et le IIIe siècle que l’afflux d’une influence occidentale s’explique mieux, qu’il est plus sûrement attesté par les monumens plastiques.

Dans ces sculptures de style à demi classique, on a cru saisir une parenté avec l’art romain de l’empire, avec les premiers sarcophages chrétiens. Il est sage de laisser de la marge aux rencontres accidentelles ; l’analogie reste cependant notable. Nous avons vers cette époque des traces nombreuses de rapports directs avec le monde romain : le mot denarius entre sous la forme dinâra dans la langue de l’Inde ; les monnaies romaines se trouvent en cent endroits mêlées au monnayage local. La déesse Roma paraît même, au IIe siècle, figurer avec son nom sur un des types monétaires du roi scythe Houvishka. Or c’est par le mot anka que les Indiens désignent l’acte. Cet emploi ne s’explique pas très naturellement ; les théoriciens s’évertuent à en fournir des interprétations ; elles sont trop cherchées pour nous satisfaire. Le sens, d’ailleurs secondaire, de marque, chiffre, ne nous fait qu’un pont assez étroit. Si j’ose dire tout mon sentiment, je ne serais pas surpris que la consonance du latin actus eût été pour quelque chose dans le choix du terme sanscrit. La conjecture peut paraître téméraire. Je n’entends point en abuser. L’idée d’une certaine influence occidentale repose sur d’autres vraisemblances, plus solides, quoiqu’on les pût souhaiter encore plus décisives.

Si sommaire qu’elle ait pu être, elle nous fournirait, dans la genèse du théâtre indien, un élément dont les insuffisances de la tradition indigène et les limites naturelles de l’esprit hindou font sentir tout le prix. Les Hindous ont créé par eux-mêmes, de leur propre fonds, plusieurs élémens de la forme dramatique. Aurait-elle jamais, sans ces leçons du dehors, pris les caractères qu’elle accuse dans la période classique, en particulier dans la comédie d’intrigue amoureuse princière ou bourgeoise ? Certaines danses, certaines pantomimes peuvent, dans les fêtes religieuses, remonter très haut ; il en est de même des récitations épiques plus ou moins dialoguées. Il n’existe jusqu’ici aucune raison pour faire remonter plus haut que le Ier ou le IIe siècle de notre ère la période de formation du théâtre proprement dit.


VII.

Quoi qu’il en soit des origines, par ses qualités comme par ses défauts, par son inspiration comme par sa forme, le théâtre de l’Inde a sa signification et sa portée. C’est un chapitre de la psychologie hindoue.