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tout puisé à une autre source ; il doit tout à l’imitation du théâtre antique. L’Inde a eu, elle a encore, des spectacles religieux qui lui appartiennent en propre. Ne serait-ce pas à une autre impulsion, à une impulsion venue du dehors qu’elle devrait l’idée de son drame littéraire ?

Une considération générale me frappe. Dans la spéculation, son mysticisme naturel mène l’esprit hindou, l’enchaînement des formules le soutient, la griserie des abstractions le stimule. En tout autre domaine, il est peu créateur. Il n’est point a priori si aisé de lui faire honneur d’une transformation comparable à celle qui, à Athènes, a créé le drame. Que l’Inde ait dû beaucoup d’enseignemens pratiques à la Grèce, son architecture, son monnayage, sa sculpture le proclament. Que cette influence se soit étendue au domaine purement intellectuel, les emprunts faits par elle à l’astronomie alexandrine en témoignent. Que, d’une façon générale, le contact de la Grèce, quoique peu profond, ait produit sur l’hindouisme somnolent et rêveur un fécond ébranlement, c’est ce que la date même où, pour la première fois, nous apparaissent ensemble l’usage public de l’écriture, les plus anciens monumens durables, l’enfantement d’une littérature profane, ne permet guère de révoquer en doute. Très capables d’être frappés par des exemples nouveaux, les Hindous sont malhabiles à en saisir, à en reproduire le sens original. C’est par les dehors seulement qu’ils se prennent. La religion et l’organisation sociale font barrière. Ils imitent le procédé plus que les idées ; et vite ils se cantonnent dans le cercle que la tradition leur a rendu familier ; les modèles sont rapidement démarqués. Il faut donc prévoir, quand elle n’est pas attestée par quelques traces matérielles, que l’influence du dehors restera chez eux peu apparente.

Plutarque nous montre, après les conquêtes d’Alexandre, les enfans des Perses, des Susiens, des Gédrosiens chantant les tragédies d’Euripide et de Sophocle. Ce témoignage est sans doute moins historique qu’oratoire ; il y a longtemps qu’on s’en est souvenu et qu’on s’est demandé si les représentations théâtrales des Grecs n’auraient pas inspiré les Hindous. C’est un indianiste allemand, M. Windisch, qui a examiné la question de plus près. Ses conclusions ont été résolument affirmatives ; M. Lévi s’est attaché à les combattre.

Le théâtre indien n’a visiblement rien à démêler avec la tragédie attique ; M. Windisch a mis la question sur son vrai terrain en évoquant les souvenirs de la comédie nouvelle. Bien qu’elle ne nous soit guère connue que par les adaptations du théâtre romain, nous en savons assez pour instituer des comparaisons. Celle qu’a tentée M. Windisch n’est que trop minutieuse. Certaines analogies