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qu’il suppose fussent déjà forgés ; il fallait que non-seulement le sanscrit, mais les prâcrits dont on consacrait l’usage en le réglementant, eussent reçu leur forme orthographique et grammaticale définitive. J’ai cherché ailleurs à faire valoir certaines raisons qui, si je ne me trompe, ne permettent pas, dans l’état de nos connaissances, de faire remonter ce moment au-delà du IIe siècle de notre ère. Ce serait donc la date la plus haute qu’il fût possible d’admettre pour un état achevé du théâtre, conforme de tous points à la théorie et à la pratique qui ont survécu.


VI

Reste l’autre période, la période antérieure de préparation et d’essais. Une question délicate s’y rattache : l’Inde peut-elle revendiquer tout entier l’honneur de l’invention dramatique ? N’a-t-elle pas reçu du dehors quelques leçons ?

De cette époque, rien ne nous reste. Les témoignages sont infiniment rares et peu précis. Nul espoir de reconstituer anneau par anneau l’enchaînement historique. Il faut nous contenter d’envisager des probabilités sans exiger des certitudes.

Par tous pays et dans tout état de civilisation, on peut découvrir des points d’attache pour un développement dramatique. C’est trop facile pour rien prouver. Il importe peu qu’il se trouve dans les hymnes védiques des morceaux dialogues ; on les peut imaginer récités et mis en œuvre d’une manière quasi scénique ; c’est supposition pure. Il est très probable, en revanche, que la célébration de certaines fêtes a été de vieille date rehaussée d’exhibitions à demi dramatiques, de danses, de pantomimes, mêlées peut-être de chants dialogues. C’est du moins ce qui se passe à l’époque moderne, surtout dans le culte de Krishna et de Râma. Un poème du XIIe siècle, le Gîtagovinda, est consacré à l’expression à la fois mystique et très sensuelle des amours de Krishna et de Râdhâ, sa bergère favorite. Le cadre est très simple : une brouille passagère, suivie d’un prompt raccommodement. Ce n’est point à vrai dire un dialogue, c’est une série de cantilènes mises successivement dans la bouche de Krishna, de Râdhâ, de ses compagnes. Elles sont reliées par un petit nombre de vers qui d’un mot esquissent la situation. Dès longtemps on a pensé que cette composition, quoique assez récente, représentait une vieille tradition qui aurait contribué à la création du véritable théâtre.

En somme, le témoignage le plus ancien nous vient d’une grammaire célèbre, le Mahâbhâshya ; la date n’en est pas établie avec précision ; qu’on la place un siècle avant ou un siècle après l’ère