Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résout en une rhétorique sans horizons, mais patiente à établir et à balancer les catégories. Même absence dans les œuvres d’originalité forte ; comme cadre : la mise en scène d’histoires connues ; comme objectif poétique : des descriptions élégantes, des variations délicates, des effets de style sur des thèmes toujours repris sans lassitude. La théorie et la pratique sont bien sœurs.


V.

Tel qu’il est, ce théâtre a un passé. Si la poétique lui est antérieure, elle s’est formée sur des modèles qui existaient avant qu’elle ne fût ; ils ne sont pas sortis tout armés de l’invention d’un rhéteur. Un des prologues de Kâlidâsa, assez semblable en cette précaution aux prologues de la comédie romaine, met les spectateurs en garde contre la préférence exclusive des poètes anciens, contre une défiance aveugle à l’égard des nouveaux-venus. On nous cite quelques noms : Bhâsa, Râmila, Somila, Kavipoutra. Ceux-là étaient des prédécesseurs récens ; leurs ouvrages étaient déjà construits sur le modèle classique. C’est l’au-delà que voudrait entrevoir notre curiosité éprise surtout du mécanisme des évolutions et des commencemens. L’obscurité même de ce passé tente notre regard. Il enferme à coup sûr deux étapes, où nous devons nous arrêter successivement.

Puisque la théorie est antérieure aux œuvres qui ont survécu, pouvons-nous discerner quelque chose du temps qui a précédé et des productions perdues dont il a fallu qu’elle s’inspirât ? Et pourquoi se sont-elles perdues ? Ces œuvres même ont été précédées de tâtonnemens dans lesquels s’est fait l’enfantement de la forme dramatique. Comment ? et sous l’empire de quelle influence ?

Le problème que la première période pose pour le théâtre intéresse la littérature classique tout entière. Il se pose de même pour l’épopée savante. Les plus anciens spécimens en sont contemporains de nos pièces les plus anciennes ; comme elles, ils se rattachent, je l’ai dit, au nom de Kâlidâsa. Mais des inscriptions datées prouvent que la consécration des procédés littéraires qu’ils représentent est de beaucoup antérieure à ces premiers ouvrages. Il n’est point jusqu’à la langue qui ne soulève des difficultés analogues. Aucun ouvrage conservé de la littérature classique n’égale en ancienneté cette grammaire de Pânini qui est restée pour tout l’avenir le canon du sanscrit. La grammaire antérieure aux œuvres, la théorie antérieure, à la pratique ! De pareilles anomalies déconcertent toutes nos prévisions.

Ce serait le lieu d’évoquer une théorie célèbre de M. Max Müller. Suivant l’éminent indianiste, la littérature classique de l’Inde n’au-