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initiative, les poètes n’ont ni le souci ni les moyens d’entrer dans des voies nouvelles. L’évolution a été arrêtée au moment où la théorie en a, dans le détail, fixé une fois pour toutes les ressources et les recettes. Sans évolution, pas d’histoire ; ou, si l’on voulait, malgré tout, parler ici d’histoire, nous ne pourrions que vérifier dans la littérature l’observation qui a été faite, très justement, pour les arts plastiques : l’histoire ne serait guère que le spectacle d’une incurable décadence. Est-ce la seule puissance d’un heureux génie ? ou la nouveauté de l’art dramatique donnait-elle au poète plus de force, lui laissant plus d’initiative ? Toujours est-il que le chef-d’œuvre de Kâlidâsa est resté le chef-d’œuvre du théâtre indien. Je ne songe pas seulement à la transparente aisance du langage, aux grâces d’une imagination tendre. Quelques élans de sentiment sincère, et, dans la composition, une certaine mesure, un souci de l’harmonie et de l’équilibre, lui font une place à part au-dessus de tous ses successeurs.

De ces poètes même, nous savons bien peu de chose. C’est à Oudjayinî, dans l’ouest de l’Inde centrale, que Kâlidâsa paraît avoir écrit. La ville semble, de son temps, avoir été un foyer de science et de poésie. Quelques anecdotes le font vivre dans un cercle facile et raffiné de courtisanes et de beaux esprits. Ce n’est là qu’une hypothèse suggérée par le ton qui règne dans quelques-uns de ses ouvrages. Son nom même a inspiré d’autres contes. Élevé grossièrement par des bouviers, malgré son origine brahmanique, il aurait, par la vengeance d’un prétendant dédaigné, obtenu la main d’une princesse, sous couleur d’être un lettré incomparable. Sa dévotion à la déesse Kâli le tira d’une situation si fausse et lui valut tous les dons de l’esprit et de l’éloquence. Sa femme lui avait conseillé ce recours. Sa reconnaissance le perdit. Il ne voulut plus la traiter qu’avec le respect dû à un maître, à une mère. Elle prit mal cet excès d’honneur et le voua à mourir de la main d’une femme. Le fait est que plusieurs traditions s’accordent à lui assigner une fin tragique et singulière. Le roi avait composé une moitié de stance, invitant qui pourrait à la compléter. Kâlidâsa y réussit en un moment. Ce que voyant, la maîtresse du poète le tua pour s’approprier l’honneur et le profit du succès.

Quant à Bhavabhoûti, les prologues de ses pièces le présentent comme un brahmane savant originaire du Berar.

Un de nos auteurs sort de pair, à la fois par son rang et par l’abondance relative des renseignemens que nous avons sur lui. Harsha régna à Canodje, sur les bords du Gange, de 606 à 648. Son avènement devint même le point de départ d’une ère nouvelle. Malgré les défaites qui en attristèrent la fin, son règne fut brillant et son pouvoir s’étendit sur la plus grande partie de l’Inde