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ne reconnaît pas aux malheureux le droit à l’assistance, elle impose aux riches l’obligation absolue de leur venir en aide. Elle n’a aucune doctrine essentielle sur le droit de propriété ; ses docteurs ont réprouvé l’intérêt de l’argent : « Prêtez, dit saint Paul, sans en rien espérer. » Elle a organisé le communisme dans son sein, cherché à tarir ainsi, chez ses religieux, les deux grandes sources de l’égoïsme : la propriété privée et la famille ; et ses communautés sont devenues si prospères que les États les ont maintes fois dépouillées et ont pris des mesures contre leur envahissement. Comme le socialisme, l’Église n’accorde aucune valeur à tout ce qui est esprit, talent, grâce, originalité, don personnel ; individualisme est pour elle synonyme d’égoïsme, et ce qu’elle a toujours cherché à imposer au monde, c’est le but même du socialisme : la fraternité (charité), sous l’autorité. Même organisation internationale, même réprobation de la guerre, même sentiment des souffrances et des besoins sociaux. Selon Bebel, c’est le pape qui, du haut du Vatican, voit le mieux se former l’orage qui s’amoncelle à l’horizon. La papauté serait même susceptible de devenir, pour le socialisme révolutionnaire, un concurrent dangereux si, comme le demandait ici même M. de Vogué, elle se mettait résolument à la tête de la démocratie universelle, coiffait sous la tiare le bonnet phrygien, et si, par la bouche de chacun de ses prêtres, parlait un tribun du peuple.

Aussi les meneurs et les penseurs de la démocratie sociale cherchent-ils à ruiner toute croyance à la mission divine de l’Église, à son caractère surnaturel. Ils se proclament en cela les élèves et les disciples de ces savans et brillans exégètes, les Strauss et les Renan : « Les bourgeois de l’avenir, écrit l’auteur de la Vie de Jésus dans ses Souvenirs de jeunesse, ne me devront aucune reconnaissance. » Questions sociales et questions religieuses se lient étroitement ; et si l’on est pénétré de cette vérité, si l’on songe que les deux grandes civilisations, païenne et chrétienne, ont été déterminées par la croyance des foules, par la recherche du bonheur en-deçà de la mort ou au-delà, on soupçonnera la portée de ce conflit de la science et de la foi, quand il sera décidément sorti des académies et des bibliothèques pour descendre sur la place publique. En Allemagne comme en France, les agitateurs socialistes se livrent à leur tour à l’exégèse populaire : ils s’interprètent réciproquement. Bebel a commenté le livre des politiciens français Yves Guyot et Sigismond Lacroix, intitulé : la Vraie figure du christianisme[1]. Il a écrit, d’après Buckle, une brochure sur la Culture

  1. Bebel reproche toutefois à MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix le manque de sens historique. Il prend contre eux la défense de Platon, et leur explique que le spiritualisme platonicien n’est pourtant pas responsable de tant de méfaits.